Toulouse - Théâtre du Capitole

Le Roi d’Ys d’Edouard Lalo

Résurrection réussie d’un trésor de la musique française

Le Roi d'Ys d'Edouard Lalo

Le temps est décidément aux retrouvailles avec des œuvres oubliées du répertoire lyrique de France. Après la réapparition de La Juive de Halevy puis de Ariane et Barbe Bleue de Paul Dukas à l’Opéra Bastille (voir webthea des 19 février et 20 septembre 2007) et en attendant celle de l’Ariane de Massenet en novembre à Saint Etienne, c’est à Toulouse que l’on a pu redécouvrir Le Roi d’Ys l’unique opéra achevé d’Edouard Lalo (1823-1892), ce Français des Flandres, de lointaine ascendance espagnole, époux d’une bretonne et par elle, amoureux de la Bretagne. Résurrection réussie d’un trésor de la musique française.

A l’écoute de ses contemporains et des musiques populaires

Bien sûr, la rutilance de sa Symphonie Espagnole reste la référence la plus connue de son œuvre, une œuvre principalement dédiée au symphonique et à la musique de chambre dont il fut l’initiateur en France. On n’oublie pas que c’est grâce au Quatuor Armingaud dont il fut le fondateur que se répandirent en France les musiques de Beethoven ou de Schumann. L’homme était discret et travailleur, apprécié de ses aînés Berlioz et Gounod, à la fois à l’écoute de ses contemporains et à l’affût des musiques populaires d’Espagne ou d’ailleurs. Hanté par les échos du grand opéra wagnérien, il se décida sur le tard à plonger à son tour dans le genre lyrique, essuya un échec avec un premier essai puis se remit à l’ouvrage sur le thème d’une vieille légende d’Armorique contant la disparition possible d’un château englouti par les flots… Ainsi naquit Le Roi d’Ys, qui commença par être refusé durant une douzaine d’années par toutes les instances musicales en place - seule son ouverture, véritable morceau de bravoure était exécutée - mais qui, à sa création en 1888 à l’Opéra Comique remporta, in fine, un joli triomphe.

Une Carabosse maléfique folle de jalousie et de haine

Inva Mula (Rozenn) / Sophie Koch (Margared)

L’ombre de Wagner plane à la fois sur l’histoire et sur la musique, avec carrément, dès l’ouverture, une citation tirée de Tannhäuser. Tragédie d’amour et de guerre, combat éternel entre le bien et le mal, Dieu et le Diable, c’est la très édifiante histoire de deux sœurs amoureuses du même homme. L’aînée, Margared, est promise par son père, en gage de paix, à l’ennemi Karnac, mais c’est un soldat de l’armée royale qu’elle aime en secret. Mylio est ce soldat qui aime une autre femme, Rozenn, sa sœur cadette et il est aimé d’elle. La découverte de cette passion partagée fait péter un câble à l’héritière qui se transforme en fée carabosse maléfique, folle de jalousie et de haine. La guerre est à nouveau déclarée mais Mylio et les siens en sortent vainqueurs. Tandis qu’est célébrée la noce des amoureux, la princesse dédaignée ourdit sa vengeance en poussant Karnac le vaincu à ouvrir les écluses de la cité. Pour l’engloutir à jamais. La religion n’étant jamais loin des contes et légendes, l’intervention divine de Saint Corentin, et le suicide d’une Margared repentie qui se jette dans les flots – comme la Senta du Vaisseau Fantôme -, arrêtera la déluge et empêchera le royaume d’Ys de rejoindre celui de l’Atlantide…

La musique de Lalo enrage et flamboie, elle dégouline drue, serrée, avec des plages de respiration large, des envolées romantiques, elle brasse et résume en quelque sorte le panorama sonore les musiques de son temps tout en gardant un cachet qui n’appartient qu’à elle, une sorte de raffinement, hérité peut-être de sa passion pour les cordes dont il fut l’exécutant appliqué. Le solo de violoncelle de l’ouverture est à lui seul un petit bijou.

Un premier degré qui colle à l’histoire comme un gant

Franck Ferrari (Karnac) / Sophie Koch (Margared)

Avec Nicolas Joël, le patron actuel du Capitole et le futur patron de l’Opéra de Paris, on n’a pas à craindre de transposition ou de relecture tarabiscotée. Il est homme de musique bien plus qu’homme de spectacle, chez lui priment l’orchestre et surtout les voix. Ses mises en scène sont bâties pour qu’elles puissent s’exprimer sans entrave. Après les partis pris radicaux des Marthaler, Warlikowski et autre Mussbach, un premier degré qui colle à l’histoire comme une paire de gants aux doigts de la main, est plutôt reposant. Quoique un certain recul, une intime conviction sur l’œuvre ne ferait pas de tort. Tout comme une direction d’acteurs plus fouillée débusquerait peut-être quelques faces cachées des personnages. Mais Joël est comme ça, un homme auquel on ne reprochera jamais la moindre faute de goût, défenseur avant tout de la seule musique, sa bible et son credo.

Le coup d’oeil d’un somptueux livre d’images

Ezio Frigerio et Franca Scarciapino, les deux complices de toujours pour les décors et les costumes sont allés au plus près des origines de l’histoire. Un palais de faux marbre gris d’où dégringole un escalier mobile qui s’agrandit ou se rétrécit au gré des scènes et que surplombe un portail ouvragé, des costumes auxquels il ne manque pas la moindre braie, le plus petit brodequin, calot ou chaperon, des robes en drapés de soie et de velours, des coiffes à cornes et des hennins et des armures aux enjolivures baroques. Les solistes tout comme les personnages du chœur semblent sortis de tableaux qui vacillent entre Dirck Bouts, Memling ou Van der Weyden ou, plus au sud, Le Greco, Velazquez ou Zurbarran… Le coup d’œil est celui d’un somptueux livre d’images. Clou du spectacle : le déluge qui fait culbuter 10.000 litres d’eau sur les marches du palais et qui double la musique d’une jolie sourdine aquatique !

Des voix qui font le bonheur des oreilles mélomanes

Inva Mula (Rozenn) / Charles Castronovo (Mylio)

Sous la direction du jeune chef franco-canadien Yves Abel, les instrumentistes de l’orchestre national du Capitole se musclent en forme olympique, quitte à, ici ou là, oublier de freiner et couvrir quelques voix… Mais toutes les couleurs sont au rendez-vous.
Ce sont les voix qui font le bonheur des oreilles mélomanes, elles chantent et disent clairement les textes, donnant à la musique française son sens et son identité. Si Franck Ferrari endosse sans surprise le rôle du méchant Karnac, le roi d’Ys par la basse française Paul Gay, entendu à Paris dans Martinu et Janacek, s’affirme comme une vraie richesse, si le Mylio du ténor américain Charles Castronovo révèle une belle diction et une émission aux couleurs tendres, ce sont les femmes qui remportent la palme. La ravissante soprano albanaise Inva Mulan est à merveille la pure Rozenn, amoureuse aux aigus qui montent sans accroc aux cimes et au medium qui enveloppe comme une écharpe de soie.

La performance de star de Sophie Koch

Sophie Koch enfin, royale et démoniaque, dans un rôle périlleux que seule une très grande pointure de mezzo soprano peut aborder. Elle virevolte de corps et de voix, les bras dansant comme des ailes, le jeu piqué au dessin animé, méchante reine en guerre contre Blanche Neige, excessive et drôle, la voix au sommet, sans faille… Une performance de star.

Le Roi d’Ys d’Edouard Lalo, livret d’Edouard Blau, Orchestre National du Capitole de Toulouse, direction Yves Abel, chœur du Capitole et de l’Opéra National du Rhin, mise en scène Nicolas Joël, décors Ezio Frigerio, costumes Franca Squarciapino, lumières Vinicio Cheli. Avec Sophie Koch, Inva Mulan, Charles Castronovo, Paul Gay, Franck Ferrari, Eric-Martin Bonnet, André Heyboer.
Toulouse – Théâtre du Capitole, les 5, 9 & 12 octobre à 20h, les 7 & 14 à 15h – 05 61 63 13 13

Photos : © Patrice Nin

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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