Le Maître et Marguerite d’après Boulgakov
Mieux qu’un film

Le Maître et Marguerite de Boulgakov a été assez souvent adapté au théâtre. Cette vision déchirante de la Russie stalinienne appelle le grand spectacle et permet aussi l’intimité et le débat philosophique, donc de jouer sur différentes échelles. C’est ce que fait l’Anglais Simon McBurney, artiste qui, d’abord orienté vers le théâtre gestuel, a mis peu à peu son savoir-faire quasi gymnique au service d’une réflexion, morale, scientifique et métaphysique. Il s’empare du roman de Boulgakov avec passion. La construction parallèle du récit, qui entremêle l’histoire d’un écrivain écrasé par les diktats des poètes officiels, les actions folles du diable venant perturber la vie à Moscou et un retour récurrent au temps du Christ dominé par la lâcheté du procureur Ponce-Pilate, inspire une mise en scène saccadée, jamais en repos. Les acteurs, comme sortis d’un film soviétique, ont un formidable jeu collectif, qui n’empêche pas certaines individualités, tels Paul Rhys (le maître), Sinéad Matthews (Marguerite), Tim McMullan (Ponce-Pilate), de s’imposer. McBurney utilise beaucoup les projections, donnant à voir certaines scènes agrandies sur la façade, ou créant des impressions de fractures et de chutes de pierre sur un Palais des Papes qui, à la fin et virtuellement, s’effondre sous nos yeux. La technique des projections lui permet également de faire entrer des images des années 30 et de sauter jusqu’à aujourd’hui : un immense portrait de Staline apparaît souvent sur la muraille, mais aussi les soldats nazis et les forces américaines en Irak. Ce spectacle, qui ne sera pas repris (il aura circulé dans quelques capitales), est d’une telle santé, d’une telle maîtrise, d’une telle puissance théâtrale qu’on répugne à faire des réserves. C’est l’un des plus beaux débuts de festival qu’on ait vu à Avignon ces dernières années. On notera quand même qu’il y a là une addition de langages assez disparates, du déchaînement style Ballets russes à l’expressionnisme et à l’épure zen. McBurney a su tout mettre en séquences et tout enchaîner dans un même mouvement. C’est ce qui compte, nous laisse admiratifs et nous paraît plus beau qu’un film.
Le Maitre et Marguerite d’après Boulgakov, mise en scène de sSimon McBurney, scénographie d’Es Devlin, vidéo de Finn Ross, 3D de Luke Halls, marionnettes du Blind Summit Theatre, costumes de Christina Cunningham, lumière de Paul Anderson, son de Gareth Fry. Festival d’Avignon 2012. Cour d’honneur. Pas de reprise prévue. © Christophe Raynaud de Lage