Paris, Théâtre de l’Odéon, jusqu’au 24 octobre

La Cerisaie de Tchekhov

Tournez, manège !

La Cerisaie de Tchekhov

Comme nous vivons une période de compétition entre metteurs en scène du genre « Je vais faire plus fort que toi avec Hamlet » ou « Je vous montre ce que mes prédécesseurs n’ont pas compris dans Le Cid », demandons-nous sans attendre ce que Julie Brochen apporte à La Cerisaie par rapport à ce que faisait Alain Françon à la Colline ! Alors que Françon voulait inventer en retrouvant le contexte de la création par Stanislavski, Brochen revient à l’espace clos et rond qu’implique le « jardin des cerises », comme on traduisait autrefois, et vise à amplifier l’émotion par la musique, la magie, l’insolite. Elle retrouve l’esprit qui était le sien quand elle avait monté un Oncle Vania mémorable. Le style semble, cependant, plus systématique. La propriété, qui va être vendue, c’est-à-dire rachetée par ce moujik de Lopakhine (belle interprétation de Jean-Louis Coulloc ‘h), prend ici l’apparence d’une serre, d’une vaste cage de fer forgé où les personnages s’emprisonnent, pris par leurs souvenirs et leur inconséquence, lorsque la vie ne les fait pas sortir de ce cercle et s’exprimer à l’avant-scène. Cette serre, cette cage finit par ressembler à un cabaret, à un music-hall. Quand elle s’y raconte, Lioubov, que Jeanne Balibar, joue dans un délire solitaire et chantant à la manière de Barbara, se met au piano et parle sur la musique qu’elle tire du clavier. Autour d’elle, la famille et les invités tournent sur une sorte de trottoir roulant qui entoure le salon : la vie mondaine se transforme en une ronde de manège un peu fantastique.

Les acteurs, Muriel Inès Amat, Fred Cacheux, Cécile Pericone, Gildas Milin, Hélène Schwaller, pour ne citer qu’eux, sont très justes. Même si la mise en scène a tendance à compliquer un peu les choses (la fin, un peu retouchée, en devient obscure et ne rend pas la partie facile à l’interprète de Firs, André Pomarat), elle tire de ces comédiens et de ce mouvement de manège une forte émotion. La Cerisaie par Françon, c’était plus parfait. Celle-là est plus vibrante. Aucune n’a effacé celle que fit Peter Brook, mais c’était en 1982 ! Place à une génération plus brouillonne mais tout aussi amoureuse de ses personnages.

La Cerisaie de Tchekhov, texte français d’André Markowicz et Françoise Morvan, mise en scène de Julie Brochen, musique de Carjez Gerretsen et Secret Maker, scénographie de Julie Terrazzoni, costumes de Manon Gignoux, lumière d’Olivier Oudiou, avec Abdul Alafrez, Muriel Inès Amat, Jeanne Balibar, Fred Cacheux, Jean-Louis Coulloc’h, Bernard Gabay, Carjez Gerretsen, Vincent Macaigne, Gildas Milin, Judith Morriseau, Cécile Perricone, André Pomarat, Jean-Christophe Quenon, Hélèe Schwaller. Odéon-Théâtre de l’Europe jusqu’ au 24 octobre du mardi au samedi à 20h, dimanche à 15h. (2 h 30). Tel : 01 44 85 40 40.
www.theatre-odeon.fr

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter depuis un quart...

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