La Belle et la Bête à Ormuz

À l’Opéra-Comique, la rose de Zémire et Azor manque un peu de parfum.

La Belle et la Bête à Ormuz

EN EXAGÉRANT À PEINE, ON AURAIT PU SE DIRE, au sortir des représentations de La Caravane du Caire données il y a peu à l’Opéra royal de Versailles, que Grétry était une manière de Gluck sans gravité. C’est que la Caravane est une partition chatoyante, variée, charpentée, avec chœurs et ballet, plus aboutie que Richard Cœur-de-lion, plus ambitieuse que Le Magnifique. Mais voilà que Zémire et Azor, représenté à l’Opéra-Comique, remet les choses à leur place.

Composé en 1771 sur un livret de Marmontel, Zémire et Azor fait alterner dialogues (savamment versifiés) et numéros musicaux. Un opéra-comique, alors ? On aimerait répondre par l’affirmative, mais les deux premiers actes ne vont guère plus loin que la « comédie mêlée d’ariettes », comme on définissait le genre avant qu’il prenne son essor. Certes, il faut laisser à l’action et aux personnages le temps de s’installer, mais cette première moitié de l’ouvrage nous laisse une impression déconcertante : airs brefs et sans relief, dialogues dits avec un faux naturel, alanguissement général. L’enjeu de cette fable persane, pourtant, n’est pas innocent, et renoue avec l’éternelle dialectique de la bonté et de la beauté : un voyageur (Sander) et son serviteur (Ali) se retrouvent dans un palais enchanté à la suite d’un naufrage. Sander commet l’erreur de cueillir une fleur qu’il destine à sa fille Zémire. Apparaît alors un personnage monstrueux au cœur sensible (Azor), qui se révélera la Bête de cette histoire, cependant que Zémire, bien sûr, sera la Belle.

Il y a là trois sœurs comme dans Cendrillon ou Le Roi Lear, un tableau magique comme dans L’Illusion comique – mais les ingrédients réunis ne prennent pas, la partition de Grétry a quelque chose de timide, la mise en scène ne peut pas faire de miracle malgré la présence de deux danseurs un peu mimes, un peu acrobates (Alexandre Lacoste et Antoine Lafon). Au moins peut-on remercier Michel Fau de jouer le jeu de la fantaisie et de la turquerie (quand bien même l’orientalisme n’aurait pas sa part dans la musique), sans chercher à tirer le propos vers notre époque. Ajoutons que les dialogues n’ont pas été réécrits, ce qui n’étonnera pas de la part de Michel Fau et Louis Langrée, alors que dans bien des théâtres on n’hésite pas à utiliser ce procédé aussi grossier que ridicule.

Les cintres et le tableau

Tout change après l’entr’acte : la musique s’anime, Michel Fau en personne, habillé en Fée, descend des cintres et esquisse quelques pas de danse, la scène du tableau magique sème le trouble. Certes, on ne sait pas trop quelle est la part de la naïveté feinte et de la réelle candeur dans les airs de Zémire (« La fauvette avec ses petits », « Azor, en vain ma voix t’appelle »), mais un ballet enjoué termine le spectacle et nous réconcilie en partie avec Grétry. Il a toutefois fallu, notamment dans les deux premiers actes, passer par bien des moments sans nerf et sans couleur. Michel Fau lui-même, malgré deux ou trois facéties, n’a pas su trouver le moyen magique de transfigurer Azor, grimé comme un insecte monstrueux, en prince : la Bête quitte la scène, le prince y revient quelques instants plus tard, et le tour est joué ; c’est un peu court !

L’équipe réunie est pourtant tout à fait convaincante. Philippe Talbot chante sans difficulté le rôle ambigu d’Azor, qui mêle l’orgueil à la plainte ; Marc Mauillon n’a rien a priori du vieux commerçant Sander mais se sort très bien des pièges semés par Grétry ; Séraphine Cotrez et Margot Genet sont des sœurs un peu effacées auxquelles le compositeur n’a guère donné l’occasion, il est vrai, de se faire valoir. Sahy Ratia, au fil des mois, projette sa voix avec de plus en plus de maîtrise et incarne ici un Ali comique et bondissant. Quant à Julie Roset, si elle n’est pas pourvue d’une très grande voix, elle incarne une Zémire juvénile sans jamais faire basculer le rôle vers la démonstration.

Au pupitre des Ambassadeurs-La Grande Écurie (formation née de la fusion des Ambassadeurs et du double orchestre fondé par Jean-Claude Malgoire, La Grande Écurie et la Chambre du Roy), Louis Langrée est parfait de délicatesse et sait faire surgir l’énergie quand il le faut. Mais lui non plus ne peut pas faire de miracle. L’ouverture sonne de manière vive et prometteuse, l’introduction est baignée d’une tendre nostalgie, mais il est difficile, par la suite, de transfigurer une suite d’ariettes accompagnées. C’est à partir du troisième acte que la flûte, le cor, les bassons conduisent la musique vers d’autres rives. Mais les courants véhéments du détroit d’Ormuz, où se situe l’action de Zémire et Azor, affolent peu une partition qui ne compte pas parmi les plus réussies de Grétry.

Illustration : Azor (Philippe Talbot) aux pieds de Zémire (Julie Roset). Photo Stefan Brion

Grétry : Zémire et Azor. Avec Julie Roset (Zémire), Philippe Talbot (Azor), Marc Mauillon (Sander), Sahy Ratia (Ali), Margot Genet (Lisbé), Séraphine Cotrez (Fatmé), Michel Fau (Une fée), Alexandre Lacoste et Antoine Lafon (les Génies). Michel Fau (mise en scène), Hubert Barrère et Citronelle Dufay (décors & costumes), Joël Fabing (lumières). Les Ambassadeurs-La Grande Écurie, dir. Louis Langrée. Opéra-Comique, 26 juin 2023 (représentations suivantes : les 28 et 29 juin ; celle du 1er juillet sera dirigée par Théotime Langlois de Swarte.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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