Opéra National de Paris - Bastille - jusqu’au 2 juillet 2009

LE ROI ROGER / KROL ROGER de Karol Szymanowski

La magnifique et sulfureuse découverte d’un chef d’oeuvre signe la fin de règne de Gérard Mortier

LE ROI ROGER / KROL ROGER de Karol Szymanowski

On l’attendait, il est venu, a été entendu, a été vu, a convaincu par sa musique mais n’a pas vaincu les ennemis de son metteur en scène. Ce Roi Roger/Krol Roger de Karol Szymanowski (1882-1937) dernière production lyrique de Gérard Mortier qui quitte la direction de l’Opéra National de Paris, a été le reflet fidèle de sa politique anti-conformiste. Par le choix d’une œuvre puissante, de 83 ans d’âge, jamais encore présentée en France dans sa version scénique et par celui d’un metteur en scène briseur assermenté de tabous et de routines, Krzysztof Warlikowski, déjà signataire de trois mises en scène phare de son mandat : Iphigénie en Tauride, Parsifal et L’Affaire Makropoulos (webthea des 22 juin 2006 & 25 mai 2008, 6 mars 2008, 1er mai 2007). L’accueil de ce chant de cygne fut lui aussi à l’image de ses précédents coups d’audace, entre ovation et bronca tapageuse.

Mais qui est donc ce Roi Roger, deuxième opéra d’un compositeur polonais majeur du premier tiers du vingtième siècle ? Et qui est cet homme de théâtre dont le regard sur le monde fascine et dérange ? Szymanowski né dans l’aisance d’une famille de hobereaux cultivés bientôt ruinés par les soubresauts révolutionnaires de Pologne (lire l’excellente monographie de Didier Van Moere parue chez Fayard – voir webthea du 19 février 2009), grand voyageur et grand ami de la France, puisa son inspiration musicale chez tous les maîtres de son temps Wagner évidemment mais surtout Richard Strauss, Debussy et surtout Ravel, Scriabine et surtout Stravinsky, et, couronnant ce faisceau d’influences, les langueurs et la sensualité de l’Orient, du Maghreb à l’Inde. Autant de sonorités et de couleurs quasi byzantines que l’on retrouve dans le Roi Roger, un roi dont l’existence et le destin au XIIème siècle furent révélés à Szymanowski lors de ses séjours en Sicile. Il mit six ans de 1918 à1924 à en faire un opéra sur le livret fleuri parfois jusqu’au kitch du poète Jaroslaw Iwaszkiewicz. Sa création eut lieu deux ans plus tard à Varsovie.

L’aveu d’une homosexualité refoulée

C’est l’histoire d’un monarque et de son épouse qui vont succomber au charme vénéneux d’un berger qui se dit « beau comme Dieu » qui prêche l’amour et le plaisir et dont les prêtres et la foule exigent le lynchage. Dionysos contre Apollon, le culte du soleil contre celui de la déraison. C’est avant tout l’aveu d’une homosexualité refoulée dont la grâce du berger missionnaire va déclencher la conscience.

Warlikowski n’illustre pas – il n’illustre jamais – il ne met pas non plus en place selon l’ordinaire de la tradition, il s’imprègne, pourrait-on dire, d’une atmosphère et de ses non-dits, plonge en quelque sorte dans le chaos intérieur des personnages ce qui, à défaut de servir ou d’éclairer l’anecdote, colle à son inconscient et à sa musique comme une combinaison de latex.

Et si tout cela n’était qu’un rêve ? Celui fait par un bourgeois cossu vivant à Beverly Hills ou sur la Côte d’Azur dans sa villa avec piscine, thalasso et aquagym puis succombant aux illusions d’ailleurs prêchées par un vagabond hippie bisexuel de retour de pèlerinages à Bénarès ou Woodstock. Love and peace via tous les phantasmes possibles.

On retrouve les constantes « warlikowskiennes », la permanence de l’eau, des murs en perspectives, des matrones emperruquées et emperlousées, un déluge d’images filmées qui finit par donner le tournis, les êtres hybrides de notre temps sortis de Disneyland avec des têtes de Mickey et des sandales en strass. De cette pagaille naît une sorte de mal être, une moiteur des corps, une dérive des têtes qui évoquent à la fois Pasolini et son Théorème ou Benjamin Britten et sa Mort à Venise.

Sensualité, exotisme et mobilité

Une étrangeté qui rejoint celle de la musique, la concentration de ses richesses qui l’apparente à un oratorio, sa sensualité, son exotisme et sa mobilité. Autant de facettes que Kazushi Ono à la tête du toujours excellent Orchestre de l’Opéra de Paris, exalte avec une précision et un raffinement extrême. Un vrai bonheur comme l’est celui des chanteurs-acteurs de ce troublant jeu de rôles : celui du roi véritablement incarné par le baryton russe Mariusz Kwiecien entendu en septembre dans Eugène Onéguine au Palais Garnier (webthea du 8 septembre 2008) et précédemment dans la deuxième distribution de l’Elixir d’Amour monté par Laurent Pelly à Bastille (webthea du 6 juin 2006), celui de Roxane, la reine voluptueuse dont la large tessiture de la soprano ukrainienne Olga Pasichnyk réussit à éclairer toutes les ambiguïtés, l’excellent Stefan Margita en Edrisi, le conseiller précautionneux du Roi, Eric Cutler enfin, géant efféminé, beatnik félin deban de dessinée, qui, à défaut d’une aura de vrai séducteur, possède un timbre et des aigus qui emportent les rêves.

Ce dernier défi de Gérard Mortier lui ressemble et tracera, c’est sûr, des ondes dans nos mémoires.

Le Roi Roger/Krol Roger de Karol Szymanowski, livret de Jaroslaw Iwaszkiewicz, orchestre et chœur de l’Opéra National de Paris direction Kazushi Ono, mise en scène Krzysztof Warlikowski, décors et costumes Malgorzata Szczesniak, lumières Felice Ross, chef des chœurs Winfried Maczewski. Avec Mariusz Kwiecien, (et Scott Hendricks les 25 & 30 juin), Olga Pasichnyk, Stefan Margita, Eric Cutler, Wojtek Smilek, Jadwiga Rappé.

Opéra National de Paris – Bastille, les 28, 20, 23, 25, 30 juin& 2 juillet à 20h, le 28 juin à 14h30

+33 (0)8 92 89 90 90 - www.operadeparis.fr

Crédit photographique : Ruth Walz / Opéra national de Paris

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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