Opéra National de Paris – Bastille jusqu’au 20 juin 2014

LA TRAVIATA de Giuseppe Verdi

Malgré Diana Damrau, Violetta deux fois sacrifiée

LA TRAVIATA de Giuseppe Verdi

Piège d’un succès : alors qu’il avait si bien réussi à faire vivre le Werther de Massenet sur les ponts surdimensionnés du vaisseau Bastille (voir WT 2153 & 3985), on attendait du cinéaste-metteur en scène Benoît Jacquot, les mêmes frissons de plaisir, sur la même scène, pour la nouvelle production de la Traviata de Verdi. Grosse déception : pour cet incontournable tube du répertoire lyrique, le réalisateur tourne le dos à sa précédente conception habitée de l’espace, le laisse vide, ou à peu près, se contente de le meubler au premier acte, d’un lit géant sur lequel veille l’Olympia de Manet, d’une coiffeuse et d’une chaise. Les personnages s’y meuvent comme dans un désert.

Au deuxième acte, il commet une erreur fondamentale en coupant le plateau en deux parties, l’une active, l’autre passive plongée dans une demi- pénombre qui brouille l’attention. Côté jardin, un hêtre immense abrite le refuge campagnard de Violetta et d’Alfredo Germont. Côté cour, les invités de Flora attendent figés sur un grand escalier que le bal commence. Ainsi, quand s’achève d’un côté la fuite de Violetta poussée au sacrifice par Germont père, de l’autre, toutes les scènes du bal soudain s’enchaînent sur l’étendue rétrécie d’une demi scène, des parties de cartes au ballet espagnol –avec bohémiennes et toréros travestis façon Conchita Wurst ! -,. Pour l’acte trois, c’est le retour à la case quasi vide du premier, le grand lit est défait, le tableau de Manet retourné, et la pauvre phtisique git mourante sur un petit lit (d’hôpital ou de camp ?).

Fidèle aux crinolines

Benoît Jacquot s’est voulu fidèle à l’esprit, aux meubles et aux crinolines du temps de la création (1853). Fuir les transpositions hasardeuses, faire oublier sans doute l’électrochoc produit par la mise en scène de Christophe Marthaler en 2007, où Violetta se prenait pour Edith Piaf et passait une tondeuse à gazon sur la pelouse de la maison de campagne de son amant. C’était rude, bizarre avec un côté music-hall pourtant cohérent et vocalement sublime avec notamment Jonas Kaufmann qui, à l’époque, n’était pas encore étoilé super star. La fidélité de Jacquot va jusqu’à convertir la servante Annina en négresse, en réplique à la silhouette de la domestique du célèbre tableau de Manet. Cornelia Oncioiu qui chante le personnage avec sa vaillance habituelle en devient méconnaissable sous ses badigeons de cirage (ou de brou de noix ?).

La main sur le coeur

Direction d’acteurs absente : les interprètes ont été priés de chanter à l’ancienne, face au public, à l’avant-scène. La main sur le cœur est évitée de justesse. Même Diana Damrau, la plus demandée des Violetta d’aujourd’hui, du Met à la Scala de Milan, qui chante pour la première fois à l’Opéra de Paris, malgré ses aigus filés, son timbre aérien de rossignol, sa parfaite connaissance du rôle et des plus petits recoins de sa partition, ne réussit pas à lui trouver la dimension émotionnelle qui est la substance même de la pauvre dévoyée purifiée par l’amour. En Alfredo sans flamme, le jeune ténor sarde Francesco Demuro fait pâle figure face au raffinement du chant et à la présence solide de Damrau. La voix est délicate pourtant et son premier duo avec Violetta passe agréablement la rampe, mais elle est fragile et perd peu à peu ses ressorts. En lot de consolation le baryton Ludovic Tézier s’offre un petit triomphe avec sa performance en Germont père, profondeur du chant, parfait équilibre du timbre et jeu distancié, il adhère au personnage comme à une seconde peau. Anna Pennisi, Nicolas Testé, Fabio Previati, Igor Gnidii complètent très honnêtement la distribution.

Les choristes déguisés en croque-morts coiffés de hauts de forme, constituent une foule compacte, étrangement statique et menaçante. Le son de leurs voix heureusement restent bien celles des Chœurs de l’Opéra National de Paris : irréprochables ! On n’en dira pas autant de la direction d’orchestre de Daniel Oren, tantôt trop lente, presque transparente notamment dans l’ouverture, tantôt fluctuant entre des brisures de tempos.

La Traviata de Giuseppe Verdi, livret de Francesco Maria Piave, orchestre et chœur de l’Opéra National de Paris, direction Daniel Oren, chef de chœur Alessandro di Stefano, mise en scène Benoît Jacquot, décors Sylvain Chauvelot, costumes Christian Gasc, lumières André Diot, chorégraphie Philippe Giraudeau. Avec Diana Damrau, Francesco Demuro, Ludovic Tézier, Anna Pennisi, Cornelia Oncioiu, Gabriele Mangione, Fabio Previati, Igor Gnidii, Nicolas Testé, Nicolas Marie, Shin Jae Kim, Jian-Hong Zhao .

Opéra Bastille, les 2, 5, 7, 9, 12, 14, 17 & 20 juin à 19h30

08 92 89 90 90 - +33 1 72 29 35 35

Photos Elisa Haberer/Opéra National de Paris

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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