Offenbach à Athènes
L’Opéra national grec présente Le Voyage dans la Lune.
À QUOI TIENNENT DONC LA JUBILATION et le plaisir particuliers que suscite presque toujours la musique d’Offenbach ? Probablement au mélange de textes souvent cocasses, savoureux dans leur efficacité, leurs jeux de mots ou leurs rimes, et d’incroyable vitalité de la musique, qui semble trouver pour chaque air, chaque duo, chaque ensemble, chaque ouverture ou intermède instrumental, le parfait dosage d’énergie (souvent débridée !) et de subtilité (bien réelle, quoi qu’en pensent les détracteurs de la musique d’Offenbach). Chacune des œuvres de ce merveilleux inventeur de thèmes et de rythmes fait mouche avec une originalité et une finesse de ton qui n’ont pas pris une ride depuis leur création, en un temps (le Second Empire) où les allusions à la société contemporaine qui émaillent les livrets des opérettes et opéras-bouffes d’Offenbach constituaient de véritables adresses, masquées mais efficaces, au pouvoir en place ou aux codes de la bourgeoisie du temps. Offenbach était véritablement le « Fou » de ce régime-là, ou du moins l’amuseur officiel, et avec quel succès !
Chanter sur la lune
S’inspirant de Jules Verne, et sans son autorisation, Offenbach présente en 1875 au Théâtre de la Gaîté un « opéra-féerie » en quatre actes sur un livret d’Albert Vanloo, Eugène Leterrier et Arnold Mortier : Le Voyage dans la lune. L’œuvre connaît un succès étourdissant, dû en partie à l’extravagance de la réalisation scénique : on ne compte pas moins de 23 tableaux faisant intervenir un double chœur, des chanteurs, mimes et acrobates, une succession de décors hors norme, dont un canon géant, des paysages lunaires, des pluies de cendres, une tempête de neige, 673 costumes différents et… un dromadaire et une autruche empruntés au Jardin des plantes !
Laurent Pelly qui signe les costumes et la mise en scène, et Agathe Mélinand qui a adapté le livret et revu les dialogues originaux pour cette production initialement présentée à l’Opéra Comique et conçue pour la Maîtrise Populaire de cette maison, ont fait œuvre magnifique et délicieuse. Le spectacle, initialement enregistré en huis-clos en 2021 (pour cause de pandémie), a été enfin présenté en public, avec un très grand succès, début 2023. Il s’agit d’une co-production avec l’Opéra national grec et Angers-Nantes Opéra. La représentation athénienne du 12 juillet présentait à peu près la même distribution, si ce n’est que les membres de la Maîtrise populaire de l’Opéra Comique se mêlaient à ceux du Chœur d’enfants de l’Opéra national grec, les solos étant confiés bien entendu aux interprètes français, pour d’évidentes raisons linguistiques. À Athènes, la direction musicale était assurée par Elias Voudouris.
Un voyage de rêve
L’invention mélodique, rythmique et harmonique d’Offenbach, l’originalité (et la difficulté) des modulations, le réseau très serré de motifs et de couleurs : tout inspire à Laurent Pelly une éblouissante partition scénique où la beauté et la poésie des costumes (en particulier pour la seconde partie sur la lune), le charme loufoque des déplacements, la rythmicité sans failles mais toujours originale des mouvements chorégraphiques, emportent le spectateur dans un véritable voyage au pays du rêve. Chacun des enfants et adolescents des deux maîtrises (française et grecque) qui ont travaillé ensemble, se présente dans toute la virtuosité et la précision qu’il faut à cette entreprise dont l’enjeu est subtil : atteindre à la plus grande aisance, tout en exécutant une partition millimétrée, tant par Offenbach que par Laurent Pelly.
Comme souvent chez Offenbach, l’humour et la pseudo-simplicité du texte (la prosodie, les répétitions en écho, les renchérissements, les rimes savoureuses même si prévisibles) le disputent à une délicatesse de ton et une magie harmonique et rythmique quasi indéfinissables mais toujours remarquables. Et c’est bien cet alliage de loufoquerie et de poésie que Laurent Pelly reprend à son compte, en imaginant des déplacements tout à la fois mécaniques et farfelus, excentriques et efficaces, et surtout des costumes d’une beauté à couper le souffle, dans leur déclinaison de motifs stellaires et de blancheur, d’un futurisme ancré dans la tradition du ballet classique. Tutus au volant formé d’un cercle de planètes, robes d’une blancheur presque insoutenable d’éclat, rondeur en forme de ballon du personnage de Cosmos soutiennent ainsi une musique d’une incomparable séduction. Le public athénien, composé d’une bonne part de familles avec enfants, a fait un triomphe bien mérité à cette co-production franco-grecque.
Photo : Stéphane Brion
Jacques Offenbach : Le Voyage dans la lune. Direction musicale : Elias Voudouris. Mise en scène et costumes : Laurent Pelly. Adaptation du livret et nouvelle version des dialogues : Agathe Mélinand. Décors : Barbara de Limburg. Lumières : Joël Adam. Avec Franck Leguérinel, Arthur Roussel, Ludmilla Bouakkaz, Mateo Vincent-Denoble, Enzo Bishop, Violette Clapeyron, Rachel Masclet, Micha Calvez-Richer, Salomé Baslé, Justine Chauzy Le Joly, Judith Gasnier, Airelle Groleau, Maxence Hermann. Maîtrise populaire de l’Opéra Comique (dirigée par Sarah Koné) et Chœur d’enfants de l’Opéra national grec (dirigé par Konstantina Pitsiakou), Orchestre de l’Opéra national grec. Co-production Opéra Comique, Opéra national grec et Angers-Nantes Opéra. Représentation du 12 juillet 2023.