Théâtre de l’Athénée - Paris, jusqu’au 10 novembre. Puis en tournée

L’Ignorant et le Fou de Thomas Bernhard

L’humour couleur d’encre de Thomas Bernhard par un fabuleux trio d’acteurs

L'Ignorant et le Fou de Thomas Bernhard

Si vous aimez l’opéra, si vous aimez le théâtre, si vous en haïssez les faux-semblants, si vous aimez la poésie et si vous détestez les ombres planantes du national socialisme, ne manquez pas L’Ignorant et le Fou de Thomas Bernhard enlevé par un fabuleux trio d’acteurs au service de l’un des textes les plus cinglants et les plus drôles du prince de l’amertume de la littérature autrichienne.

L’ignorant et le fou – Der Ignorant und der Wahnsinnige, pièce créée en 1972, est déjà le fidèle reflet des interrogations, des rejets et des passions de cet Autrichien en colère, né aux Pays-Bas en 1931, élevé dans un internat nazi, amoureux de musique et de théâtre qu’il étudie à Vienne et au Mozarteum de Salzbourg. Atteint de tuberculose et de révolte endémique, il souffrira autant de corps que de tête, il a mal à l’Autriche dont il est issu, il a mal aux métiers de la scène qu’il aime, il passe son existence à dénoncer les hypocrisies, les fanatismes, les mensonges, les absurdités, les mystifications de la morale, de l’amour, de l’amitié. A coups de formules à l’emporte pièces, d’injures assénées sans précaution d’emploi, il vitupère, dérange, fait scandale. Mais sa force littéraire et sa poésie de brûlot sont aussi puissantes que sa haine, il s’impose dès lors comme l’auteur autrichien le plus important de l’après guerre… Ses pièces, Le Neveu de Wittgenstein, Au but, Avant la Retraite, Heldenplatz/La place des Héros sont joués en France dans les plus grandes institutions, dont la Comédie Française.

Les fumisteries de la critique et la dissection d’un cadavre

Ici, dans les coulisses d’un opéra où l’on s’apprête à jouer La Flûte Enchantée, le père de la cantatrice chargée de chanter la Reine de la Nuit et son médecin (son amant peut-être ?) attendent fébrilement son arrivée. Elle est comme ça, toujours en dernière minute, tout juste le temps de s’habiller, de se livrer à un ou deux exercices de vocalises. Dans sa loge on entend les premiers accords de l’ouverture, les deux hommes tuent le temps comme ils peuvent. Le père – l’Ignorant -, vieil alcoolique, aveugle et impotent, fait mine de somnoler, le médecin – le Fou - se lance dans une interminable harangue où s’entremêlent des propos sur Mozart, la musique, les fumisteries de la critique et des gens de théâtre, et les descriptions scientifiques d’un cadavre disséqué par un médecin légiste … La colorature arrive, pressée, enrhumée peut-être, machine à contre fa et contre mi, toujours en voyage, d’une Reine à l’autre, de Covent Garden au Met, 122 fois déjà le même rôle et toujours la peur de ne pas y arriver… Son costume craque sous les bras, elle s’enflamme, retombe, se coiffe de son chapeau de scène, et va… on l’entend enfin, sublime… Changement de décor en quelques glissements de tables et de chaises. Le trio soupe au Trois Hussards. La diva tousse, roucoule, commande du champagne, le père boit, le médecin parle, la musique veille, impitoyable…

Dominique Valadié, une Reine de la Nuit projetée dans les étoiles

Trois monstres pour lesquels il faut de sacrés pointures d’acteurs. Ceux réunis par Emmanuel Daumas, metteur en scène scrupuleux, chassant la justesse bien plus que l’effet, sont tout simplement fabuleux. Roland Bertin, présence compacte, absente, dodelinant hors du réel, parle peu mais s’impose, Michel Fau déblatère, lance comme un jongleur des chapelets de phrases, de sentences, d’invectives, ahurissant d’à propos, d’évidence, Dominique Valadié enfin, impératrice née dans les égouts, tour à tour triviale et aristo, se livrant à d’invraisemblables exercices vocaux, prodigieuse d’abatage et d’humour. On savait qu’elle était l’une des meilleures comédiennes de sa génération. Cette Reine de la Nuit la projette dans les étoiles.

L’ignorant et le fou de Thomas Bernhard, traduction Michel François Demet, mise en scène Emmanuel Daumas, scénographie, costumes et vidéo Saskia Louwaard et Katrijn Baeten, lumières Bruno Marsol. Avec Roland Bertin, Michel Fau, Dominique Valadié, Vincent Desclandres.
Paris – Théâtre de l’Athénée jusqu’au 10 novembre – 01 53 05 19 19
En tournée :
13,14 & 15 novembre – MC2 de Grenoble – 04 78 15 01 80
18 décembre : Théâtre de Bourg en Bresse : 04 74 50 40 00
11 janvier 2008 : Théâtre de Villefontaine – 04 74 80 71 85
du 15 au 22 janvier : Comédie de Valence : 04 75 78 41 70
24 janvier – Théâtre de Vienne : 04 74 85 00 05
29 & 30 janvier : Théâtre de Villefranche-sur-Saône : 04 74 68 02 89

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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