Bruxelles – Théâtre Royal de la Monnaie jusqu’au 14 novembre 2010

Kat’a Kabanova de Leos Janacek

Une sublime Katia dans un no man’s land de misère

Kat'a Kabanova de Leos Janacek

Evelyn Herlitzius, la lumineuse soprano allemande, qui fut à La Monnaie de Bruxelles une incandescente Elektra ( voir http://www.webthea.com/actualites/?Elektra-de-Richard-Strauss,2171 ), triomphe dans cette nouvelle production du chef d’oeuvre de Leos Janacek. En dépit de la grisaille misérabiliste des décors et des poncifs expressionnistes de la mise en scène d’Andrea Breth, icône des scènes allemandes, que Peter de Caluwe, le directeur de la maison, a voulu faire connaître en Belgique. C’est donc chose faite à défaut d’être chose convaincante. Une affaire de goût.

S’il est vrai que l’héroïne de la tragédie que Janacek tira de l’Orage, drame en cinq actes du russe Ostrovski se débat dans la solitude d’un monde de petits bourgeois bornés, rien ne définit ce monde comme un tas de ruines en survie d’une catastrophe. Dans un village des bords de la Volga, Katerina, dite Katia, est l’épouse d’un brave type sans envergure entièrement soumis à l’autorité et aux caprices de sa mère, marâtre hystérique, folle de son pouvoir. Katia, enfermée, rejetée, s’amourache de Boris, neveu d’un ami de la famille qui en pince pour elle. La honte, le remords d’avoir cédé, la conduiront au suicide, dans les eaux de cette Volga qui veille sur le destin du village.

Des adaptations, des transpositions, Katia, la sacrifiée qui vibre au cœur de la deuxième œuvre lyrique Janacek, en connut de nombreuses. Insolentes parfois, poétiques souvent. A Salzbourg puis à l’Opéra de Paris, le suisse Christoph Marthaler la situa entre les murs voyeurs d’une cour d’immeuble dans une HLM de banlieue ouvrière (voir webthea du 3 novembre 2004). C’était ailleurs mais c’était juste et émouvant. Au Vlaamse Opera d’Anvers puis au Teatro Real de Madrid , le canadien Robert Carsen le faisait tanguer sur un espace aquatique peuplé d’ombres, un infini de solitude aux reflets glacés. Un DVD de cette production vient d’être édité (*).

L’expressionniste allemand en soldes

On est aussi loin de l’un que de l’autre dans la réalisation d’Andrea Breth qui use et abuse de l’esthétique chère aux « régies » à l’allemande qui ont envahi les scènes de théâtre et d’opéra depuis une trentaine d’années : goût du miteux, réalisme cru, symbolisme pesant et violence des rapports. Sans oublier les inévitables reptations au sol qui en sont la marque de fabrique.

Tout cela se retrouve dans cette Katia en huis clos, entre trois murs lépreux, deux portes ne s’ouvrant sur rien, un capharnaüm de détritus au sol et quelques meubles ou accessoires censés matérialiser les destins : ainsi Katia se trouve tour à tour enfermée dans un réfrigérateur (car elle a froid de l’intérieur au cas où on ne l’aurait pas compris !) et dans une baignoire dont elle émerge à mi-corps comme un cul de jatte et qui, au final, servira de réceptacle à son suicide quand elle se tranchera les veines. Des nouveautés émaillent le parcours du spectacle : au premier acte, Tichon, le mari est déculotté et lavé par sa mère dans un baquet d’eau et Boris est lové sous les cuisses de son oncle endormi, au deuxième acte un rideau de pluie en fond de scène encadre une longue table transformée en « cène mystique » sur laquelle, entre autres actions disparates, la Kabanicha s’envoie l’ivrogne Dikoï à grands coups sur les fesses… Le génie expressionniste allemand est en soldes…

La beauté de la musique s’impose

Le problème n’est pas dans l’utilisation d’éléments étrangers, voire incongrus. Un Warlikowski va plus loin encore dans les dérives et les réappropriations de sens, mais avec un souffle épique et poétique qui les justifie. Il est ici simplement dans la laideur.

Mais la beauté de la musique heureusement l’emporte. Entre le noir absolu qui précède ses premiers accords, et la lumière crue inondant la salle dès la dernière note jouée – deux idées pour les trois actes joués sans entracte -, Janacek fait rouler ses orages, ses générosités, ses blessures, et, en chansons populaires, ses rêveries champêtres. Leo Hussain, jeune chef anglais déjà entendu à la tête de ce même orchestre symphonique de la Monnaie dans un remarquable Grand Macabre de Ligeti (voir webthea du 21 mars 2009), enfièvre ses musiciens et même les déchaîne jusqu’à parfois couvrir les voix.

Evelyn Herlitzius exceptionnelle

Tant sur le plan vocal que sur celui du jeu – la direction d’acteur est fouillée -, la distribution affiche un parcours pratiquement sans faute. La Kabanicha de Renée Morloc allie le solide du timbre au sordide du personnage, John Graham-Hill qui fut dans ce théâtre la révélation de Death in Venice de Britten (voir webthea du 22 février 2009), s’est glissé dans la peau de Tichon, fils soumis et mari absent, avec un mélange de lâcheté et de désarroi. Natascha Petrinsky qui connaît bien le personnage de Varvara, la belle-sœur rebelle, pour l’avoir déjà interprété dans la production de Robert Carsen (*), le retrouve avec la même fraîcheur déliée. Kurt Streit, Gordon Gietz, Pavlo Hunka sont excellents. La ravissante Evelyn Herlitzius, quant à elle, s’impose toute en contraste entre sa silhouette adolescente, son jeu déterminé et sa voix rayonnante. Elle est exceptionnelle, tout simplement.

Kat’a Kabanova de Leos Janacek, orchestre symphonique et choeurs de La Monnaie, direction Leo Hussain, mise en scène Andrea Breth, décors Annette Murschetz, costumes Silke Willreth et Marc Weeger, lumières Alexander Koppelmann. Avec Evelyn Herlitzius, Renée Morloc, Pavlo Hunka, John Graham-Hill, Gordon Gietz, Natascha Petrinsky, Goerg Nigh, Emma Sarkysian, Mireille Capelle, Blanka Modra .

Bruxelles, La Monnaie, les 26,28,30 octobre, 2,4,5,9 & 12 novembre à 20h, les 7 & 14 novembre à 15h.

+32 (0) 70 233 939 – www.lamonnaie.be

* : Le DVD de la production du Vlaamse Opera mise en scène par Robert Carsen et filmée par François Roussillon au Teatro Real de Madrid vient d’être édité par Fra Musica et Blu Ray. L’orchestre du Teatro Real est dirigé par Jiri Belohlavek, Karita Mattila est Kat’a, brûlante et douloureuse, Guy de Mey toujours magnifique en mari indifférent, Dalia Schaechter, Kabanicha, Natascha Petrinsky, Varvara. Les voix sont belles et habitées, l’orchestre convaincant. On retrouve la beauté des clairs obscurs chers à Carsen et son amour des mondes doubles qui se renvoient tels des miroirs. Un seul regret : la parcimonie des sous titrages qui rend l’accès difficile à ceux qui ne connaissent pas l’histoire (distribution Harmonia Mundi, sortie le 18 novembre 2010). {{}}

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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