Opéra Garnier (Paris)
Hercules, de G. F. Haendel
Joyce DiDonato, bouleversant Otello au féminin
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- 22 décembre 2004
- Critiques
- Opéra & Classique
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La jalousie paranoïaque de l’épouse de Hercules revenu de guerre avec une princesse en butin, fait de Déjanire un Otello au féminin. Mêmes soupçons injustifiés, même démence convulsive menant au meurtre. La soprano Joyce DiDonato en offre une interprétation qui restera de référence.
Créée au Festival d’Aix en Provence 2004, cette nouvelle production de l’un des plus beaux opus lyriques de Haendel prend place à l’Opéra National de Paris, son coproducteur, dans les habits musicaux et scéniques de l’été : William Christie et ses Arts Florissants dans la fosse, une distribution hors pair (Joyce DiDonato/Déjanire, Ingela Bohlin/Iole, William Shimmel/Hercules, Toby Spence/Hyllus), la fine direction d’acteurs de Luc Bondy et, hélas, les décors bunkérisés de Richard Peduzzi, en totale contradiction avec le sujet et la musique.
Le virus mortifère de la jalousie
C’est une tragédie classique au sens le plus strict, unité de lieu, unité de temps : trois actes pour que naisse, monte et explose le virus mortifère de la jalousie. Elle se déroule au royaume des demi-dieux où Hercules, fils de Jupiter, auteur des douze travaux expiatoires, revient vainqueur d’une ultime guerre dont il ramène, prisonnière, la princesse Lole. Son épouse Déjanire soupçonne aussitôt des liens adultères. La clémence qu’Hercules manifeste à l’égard de la captive conforte ses craintes. Folle de rage et de douleur, elle envoie à celui qu’elle imagine infidèle une tunique empoisonnée qui lui brûle les chairs et le tue dans d’horribles souffrances. Déjanire, Otello au féminin, plonge alors dans le puit sans fond de sa démence. Mais chez Haendel, contrairement à Shakespeare, il n’y a pas de manipulateur pour attiser la jalousie. Seule l’imagination en délire mène la danse de mort.
Bunker aux parois bétonnées
Cette histoire d’hier pourrait-elle être d’aujourd’hui ? Faire le grand écart par-dessus les siècles est devenu le sport favori des metteurs en scène affamés de "relectures". Parfois ça marche, c’est même quelques fois très réussi. À condition que l’esprit soit sauvegardé, que l’essence de ce qui est raconté en mots et en notes reste crédible. Quelle mouche a piqué Richard Peduzzi, l’homme des hauts murs magiques de Patrice Chéreau, pour transformer le palais princier d’Hercules en bunker aux parois bétonnées ? Comment justifier que son uniforme de général vainqueur soit réduit à des hardes constellées de boue ? Que la reine soit fringuée comme l’ouvreuse d’un ciné de banlieue de misère ? Que le personnel soit affublé de treillis et le chœur de jeans informes ? C’est pousser bien loin le bouchon de la transposition.
La sombre ambiguïté des rapports amoureux
Un vrai gâchis en regard du reste. Car Bondy a su revêtir de sombre ambiguïté les rapports amoureux des héros, car les chanteurs, sans exception, les incarnent à merveille, tant vocalement que scéniquement : charme et fraîcheur pour la jeune Ingela Bohlin et pour le ténor Toby Spence, grandeur et profondeur pour William Shimmel. Et en Déjanire blessée d’amour et d’amour propre, Joyce DiDonato épouse sans faillir les spirales de l’écriture haendelienne et impose une présence fébrile qui fera date. Quant à Christie, moins pétulant avec Haendel qu’avec ses chers Français, Lully, Rameau et leurs amis, il semble, durant les deux premiers actes, avoir été frappé de langueur devant l’incohérence du décor mais se rattrape au final en fureur contenue et noire mélancolie.
Hercules de Haendel, exécution musicale William Christie et ses Arts Florissants, mise en scène Luc Bondy, décors Richard Peduzzi, costumes Rudy Sabounghi, avec Joyce DiDonato, William Shimmel, Toby Spence, Ingela Bohlin, Malena Ernman, Simon Kirkbride. Opéra National de Paris, Palais Garnier, du 4 au 27 décembre. Tél. : 08 92 89 90 90.
Photo : Eric Mahoudeau