Génération Mitterrand de Cohen-Paperman & Diard-Deteuf

Des illusions à la désillusion

Génération Mitterrand de Cohen-Paperman & Diard-Deteuf

Tracer le portrait des huit présidents de la France de la 5e république pouvait sembler un projet extravagant. Léo Cohen-Paperman et Emilien Diard-Deteuf en sont au deuxième épisode, celui consacré à François Mitterrand. Et l’entreprise s’avère éclairante.

Pour jouer cet épisode, ils sont trois partenaires. Un ouvrier, une journaliste, un enseignant. La représentation se situe entre 1981, lorsque ce trio a voté unanimement Mitterrand et 2022, où le premier a donné sa voix à Le Pen, la seconde à Macron et le dernier à Melenchon. Entre ces deux moments de l’histoire, une série de faits significatifs ont été choisis par les auteurs afin de tenter d’éclairer ce virage radical des électeurs et l’évolution politique d’une démocratie confrontée à une époque difficile.

Seront évoqués, parmi d’autres, la marche des beurs, le décès tragique de Malik Oussekine, la maladie omniprésente mais cachée de Mitterrand, les nationalisations, l’émergence de Jean-Marie Le Pen, la montée du chômage, la France black-blanc-beur de la coupe du monde de foot, la cohabition après une défaite de la gauche, le mouvement « Touche pas à mon pote », la « Douce France » de Trenet via Rachid Taha…

La pièce est donc construite sur base d’une succession de fragments, jalons qui ont ponctué les deux septennats du règne de celui qui fut, entre autres, surnommé « le Sphinx ». Elle s’aventure également dans la proximité du chef de l’Etat et de politiciens contemporains alliés ou adversaires.

Léonard Bourgeois-Jacquet, Mathieu Metral et Lisa Spurio forment une équipe particulièrement dynamique qui permet de passer vite d’une séquence à la suivante, de marquer la présence de citoyens électeurs avant endosser les identités de Chevènement, Rocard, le médecin personnel du président, des chroniqueurs médiatiques tels que Calvi ou Zemmour, l’architecte de la pyramide du Louvre, Séguéla et son slogan « Génération Mitterrand  »… Ils seront à tour de rôle, le premier des Français lui-même caractérisé par la métonymie du port d’une écharpe rouge.

Leur travail est remarquable vocalement et corporellement et va au-delà d’une simple performance. Ils profitent d’une mise en scène qui s’est construite sur un espace volontairement dépouillé composé pour l’essentiel de trois chaises, d’un fond de scène grisâtre auxquels s’adjoindront selon les circonstances divers objets mobiliers, des accessoires tels que des micros… Le rythme est soutenu, exempt de temps morts.

Ils restent avant tout l’incarnation des partisans convaincus de la gauche idéologique. A ce titre, ils illustrent aussi comment cette gauche s’est peu à peu effritée tandis que la politique menée par un président porteur des espoirs d’une majorité de ses compatriotes était peu à peu rabotée par une gestion de plus en plus nourrie de la rigueur plutôt que de la générosité sociale, phagocytée par la mondialisation et les fermetures d’usines, secouée par les remous de plus en plus violents des banlieues, divisée par les discriminations raciales, gangrénée par un réveil sournois de l’extrême droite. L’utopie se métamorphosait en dystopie.

Cette perception de l’histoire met en évidence une personnalité hors norme qui en imposait mais incapable de concrétiser des valeurs qui n’étaient en fin de compte pas vraiment les siennes. Elle démontre le fonctionnement historique d’une dérive de la démocratie vers la maladie chronique du populisme où les changements technologiques, les progrès scientifiques, les satisfactions matérialistes ont pris le pas sur le véritable engagement politique vers un bien-être collectif.

Durée : 1h20
Texte : Léo Cohen-Paperman, Emilien Diard-Detoeuf ; mise en scène : Léo Cohen-Paperman ; assistanat mise en scène : Esther Moreira ; Distribution : Léonard Bourgeois-Tacquet, Mathieu Metral, Lisa Spurio ; lumières : Pablo Roy / Stéphane Bordonaro ; scénographie : Anne-Sophie Grac ; costumes : Manon Naudet ; régie : David Blondel ; production : Compagnie des Animaux en Paradis ; coproduction :Théâtre Louis Jouvet (Rethel), Théâtre (Charleville-Mézières), Espace Jean Vilar (Revin), le Salmanazar (Epernay), Forum Jacques Prévert (Carros) ; soutien : Théâtre du Rond-Point.
Photo © Pauline Le Goff

Durée : 1h20
En tournée :
31.01.2024 Rose des vents Villeneuve d’Ascq
09.02. Le Carreau Forbach
10.03 Théâtre du Pilier Giromagny
12-13.03 CCAM Vandœuvre-lès-Nancy
14.03 MAC Bischwiller
23.03 L’Orange bleue Eaubonne
29.03 Le Fil de l’Eau Pantin

A propos de l'auteur
Michel Voiturier
Michel Voiturier

Converti au théâtre à l’âge de 10 ans en découvrant des marionnettes patoisantes. Journaliste chroniqueur culturel (théâtre – expos – livres) au quotidien « Le Courrier de l’Escaut » (1967-2011). Critique sur le site « Rue du Théâtre » (2006-2021)....

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