Strasbourg - Opéra national du Rhin, jusqu’au 23 septembre - Mulhouse - La Filature le 3 octobre

Frülings Erwachen - l’Eveil du Printemps de Benoît Mernier d’après Frank Wedekind

Du théâtre à l’opéra, un transfert réussi

Frülings Erwachen - l'Eveil du Printemps de Benoît Mernier d'après Frank Wedekind

 Une gageure : après Lulu, chef d’œuvre lyrique laissé inachevé par Alban Berg en 1935, la deuxième mise en opéra inspirée d’une pièce du dramaturge allemand Frank Wedekind relève le défi avec justesse et sensibilité. Une équipe belge, Benoît Mernier pour la musique, Jacques De Decker pour le livret, Vincent Boussard pour la mise en scène en ont formé le trio gagnant. Commande de La Monnaie de Bruxelles, leur Eveil du Printemps – Frühlings Erwachen y fut créé au printemps 2007 et vient de se poser sur les tréteaux de l’Opéra du Rhin à Strasbourg.

L’enjeu, il est vrai, était d’emblée de taille. Depuis la création de cette Lulu en 1979 au Palais Garnier par Patrice Chéreau et Pierre Boulez, avec son troisième acte complété et orchestré par Friedrich Cerha, l’œuvre ne cesse de hanter les scènes des maisons d’opéra. Difficile de lui succéder ? Sans doute. Mais Benoît Mernier, compositeur et organiste réputé, avait lu l’étrange pièce de Wedekind et se sentait habité par elle. Une pièce à la fois atypique et sulfureuse, censurée dès sa première représentation en 1906 pour motif de pornographie.

Le mystère des premiers émois sexuels

Wedekind (1864-1918) est un cas à part dans l’histoire de la littérature et du théâtre. Souvent lié aux courants expressionnistes de son temps, il s’en détache de façon singulière. Il est l’homme qui transcrit ce qu’il observe et entend, sans fioriture ni commentaire, sans leçon à donner ou ni morale à suivre. Wedekind constate à nu, dans un langage simple et poétique où percent, ça et là, des envolées vers le fantastique. C’est tout le suc de son Eveil du Printemps qui, dans une suite de séquences brèves, les interrogations d’adolescents, garçons et filles, aux prises avec le mystère leurs premiers émois sexuels. A une époque, pas tellement lointaine après tout, où en parler était tabou chez les parents comme chez les enseignants et où tous les mystères du désir étaient à découvrir en douloureuse solitude. Wedekind en tire une sorte de tragédie enfantine avec mensonges bien pensants, viol, suicide et mort par avortement.

Le rêve, ultime issue pour fuir la réalité

Wendla, 14 ans, ne veut pas grandir trop vite mais aimerait connaître l’origine de la cigogne qui a déposé un bébé au domicile de sa tante, Melchior sait comment cela se passe et en décrit le procédé pour son ami Moritz, lequel, au-delà de ces questions sur la reproduction de la vie, doit à tout prix réussir ses études pour ne pas décevoir ses parents. Ilse qui est modèle pose et vole de peintre en peintre, de bras en bras, de fête en fête. Hänschen pratique l’onanisme puis se retrouve avec Ernst, son copain de classe et découvre avec lui que leur amitié est aussi faite d’étranges plaisirs physiques … Mais l’armée des grandes personnes veille avec ses préjugés, le rêve reste alors l’ultime issue de secours pour fuir la réalité.

Un élagage de jardiniers inspirés

Au théâtre la pièce fut créé en français en 1974 au Théâtre Récamier par Brigitte Jaques dans une traduction de François Regnault et fut un peu plus tard mise en scène à l’Odéon par le regretté Pierre Romans, deux productions qui laissèrent de belles traces.La cohabitation entre adultes et enfants joués par de jeunes adultes est toujours problématique, à l’opéra encore plus qu’au théâtre : balances des voix, timbres juvéniles mais cependant affirmés, confrontation des uns avec les autres… Très finement, Mernier et les siens ont détourné le problème : si on entend les adultes on ne les voit jamais. Ils restent en coulisses et leurs ombres chinoises ça et là confirment leur présence. Ils sont moins nombreux aussi que dans le texte initial et la représentation de leur part essentielle est souvent faite par intermédiaire : la lecture d’une lettre par son jeune destinataire plutôt que par son auteur ou la parodie des leçon sentencieuses de quelques profs par leurs potaches d’élèves… Cet élagage de jardiniers inspirés crée une formidable unité de style que la musique de Benoît Mernier sert avec brio.

La filiation Boesmans

Il fut l’élève de Philippe Boesmans, l’auteur fêté de La Ronde, du Conte d’Hiver et de Julie, dont on découvrira le prochain opus, Yvonne Princesse de Bourgogne, en janvier prochain à l’Opéra Garnier. Mernier lui dédie ce premier opéra, la filiation est nette : comme son maître il aime brasser les modes et les styles, traverser le siècle passé pour y puiser la respiration de celui à venir, jouer des citations comme autant de points de repères : Lulu, bien sûr est appelée en écho - aux trombones et aux cordes -, mais elle n’est pas la seule. Au passage on reconnaît des saluts à Monteverdi, père fondateur de l’opéra, à Cavalli, à Verdi, à Bartok, autant de « clins d’oreille » à la fois malicieux et reconnaissants. L’orchestre et les voix ne se piétinent jamais. Le premier, riche de près de vingt instruments pour une cinquantaine de musiciens, commente, souligne, éclate entre les scènes, tantôt acide, tantôt romantique, tantôt syncopé, mais se fait discret voire chambriste quand les jeunes chanteurs sont sur le gril.

Toujours dans la lignée de Boesmans qui depuis des années travaille en collaboration avec le metteur en scène Luc Bondy, Mernier a pris pour partenaire le metteur en scène Vincent Boussard, lui souvent invité par La Monnaie de Bruxelles. L’osmose a fonctionné tant sur le plan du découpage que sur celui de la mise en scène proprement dite, toujours directe, tracée au rasoir dans les décors de Vincent Lemaire où les hauts murs noirs et gris de l’enfermement alternent avec les sous-bois des échappées et des songes, ou les boites des huis clos familiaux qui, dans les éclairages crépusculaires d’Alain Poisson, planent en déséquilibre.

Belle distribution de jeunes talents, le ténor belge Thomas Blondelle (Melchior), le baryton allemand Stephan Loges (Moritz), la soprano Lisbeth Devos (Ilse) et surtout la soprano suédoise Kerstin Avemo, silhouette frêle, timbre limpide et jeu fiévreux, révélée il y a trois ans dans la Julie de Boesmans (voir webthea du 16 mars 2005) qui porte au plus haut le personnage fragile et éperdu de Wendla, la sacrifiée. Daniel Klajner insuffle à la fois vivacité et mélancolie à l’orchestre symphonique de Mulhouse tandis qu’en coulisses le chœur des Petits Chanteurs de Strasbourg joue observateurs du drame.

Frühlings Erwachen – L’Eveil du Printemps de Benoît Mernier, d’après la pièce éponyme de Frank Wedekind, livret de Jacques De Decker, orchestre symphonique de Mulhouse direction Daniel Klajner, chœur des Petits Chanteurs de Strasbourg, direction Philippe Utard, mise en scène Vincent Boussard, décors Vincent Lemaire, costumes Cathy Pill, lumières Alain Poisson. Avec Kerstin Avemo, Thomas Blondelle, Stephan Loges, Liesbeth Devos, Diana Axentii, Angélique Noldus, Jeroen de Vaal, Lars Piselé,Sabine Garrone, Patrick Schramm, Anna Pierard, Konstantin Wolff.Strasbourg – Opéra du Rhin, les 19, 21 et 23 septembre à 20h (0 825 84 14 84)Mulhouse – La filature, le 3 octobre à 20h (03 89 36 28 28)

Photos : Alain Kaiser

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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