Fruit défendu au Festival de Saint-Denis

Benjamin Appl et James Baillieu sous le signe de l’Eden.

Fruit défendu au Festival de Saint-Denis

FORBIDDEN FRUIT – DANS LE JARDIN D’EDEN  : tel est le titre séduisant d’un programme de mélodies, chansons et lieder, choisis pour leur lien plus ou moins direct avec la thématique du paradis perdu. Avec le pianiste James Baillieu, Benjamin Appl forme un duo de très grande qualité ; leur récital fait écho au dernier CD qu’ils ont enregistré sous le label Alpha. À la Salle Gaveau la saison dernière, les deux artistes avaient présenté un Voyage d’hiver de haut-vol (paru sous le même label), laissant présager tout ce que leur collaboration pourrait susciter dans l’avenir. Disons d’emblée que ce concert très attendu, présenté dans le cadre du Festival de Saint-Denis, nous a un peu déçus. Malgré l’originalité certaine du programme musical, voilà un récital qui ne parvient pas à captiver entièrement sur la longueur. Pourtant la dramaturgie de l’ensemble est très bien pensée, et assumée dans son originalité et sa subtilité. Benjamin Appl et James Baillieu ont conçu un parcours explicitement ancré dans les épisodes bibliques de la Genèse, l’un ou l’autre des deux musiciens énonçant, pour ponctuer le déroulement du récital, une phrase issue de la Bible, avant d’interpréter telle ou telle pièce pouvant offrir un lien avec cette thématique.

Ainsi peut-on écouter, après un bel air a cappella (anonyme de la Renaissance) chanté du fond de la salle par Benjamin Appl (I will give my Love an Apple), une transcription pour piano seul d’In Paradisum, séquence issue du Requiem de Fauré. Ayant ainsi habilement installé la thématique du concert, Appl et Baillieu ouvrent le chemin sur un premier hiatus, fort intéressant : celui qui oppose le Dieu chrétien et les dieux de l’antiquité grecque ; c’est en effet Ganymed de Hugo Wolf sur un poème de Goethe, premier lied du récital, qui évoque le désir et l’aspiration à l’éternité, vue sous l’angle de la mythologie…

La Bible et le plaisir

Tout au long de ce programme sont ainsi « couplés », de façon arbitraire mais très bien pensée, des citations bibliques et des mélodies, chansons ou lieder susceptibles de leur faire écho. À Chloris de Reynaldo Hahn illustre la question du plaisir, La Chevelure (Chansons de Bilitis) de Debussy, celle de l’union charnelle, etc. Plus étonnamment, le fameux Just a gigolo précède la spirituelle mélodie de Poulenc, Le serpent (Bestiaire, sur des poèmes d’Apollinaire). Zarah Leander, avec un de ses titres les plus célèbres, Kann denn Liebe Sünde sein, précède Die Nonne de Fanny Hensel – le péché vu par une femme fatale formant lever de rideau au péché vu par une religieuse… Tout cela est d’une intelligence extrême.

Pourquoi, avec un tel programme et un partenaire aussi exceptionnel que James Baillieu au piano, Benjamin Appl ne parvient-il pas à séduire entièrement ? Peut-être parce que, justement, c’est la séduction qu’il semble utiliser comme outil premier, dans une posture que l’on a pu ressentir comme narcissique à l’excès. L’artiste semble user de la très grande beauté de sa voix, comme de celle de son visage, pour déployer tout un fin réseau de liens avec l’auditeur, par le trouble que peuvent susciter les alliages inattendus de répertoires, par son jeu de regards portés sur l’auditoire, tour à tour énigmatiques ou intensément chargés de sens ou d’émotion. De façon profondément paradoxale, tout cet arsenal d’armes de séduction finit par susciter le sentiment d’un artifice, d’une position fallacieusement chaleureuse de l’artiste vis-à-vis de son public. Avec, au final, l’impression d’un rendez-vous manqué.

Photo : Christophe Fillieule

Benjamin Appl, baryton et James Baillieu, piano  : Forbidden fruit. Maison d’éducation de la Légion d’honneur (Festival de Saint-Denis), 18 juin 2023.

A propos de l'auteur
Hélène Pierrakos
Hélène Pierrakos

Journaliste et musicologue, Hélène Pierrakos a collaboré avec Le Monde de la Musique, Opéra International, L’Avant-Scène Opéra, Classica, etc. et produit des émissions sur France Musique, France Culture, la Radio Suisse Romande et, depuis 2007 :...

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