Fortunio d’André Messager

Dans la douceur de l’hiver

Fortunio d'André Messager

En 2009, Denis Podalydès, sociétaire de la Comédie française, s’essayait pour la première fois à la mise en scène d’opéra avec Fortunio. Dix ans plus tard, on retrouve avec plaisir ce travail raffiné, appuyé sur un plateau vocal riche et appliqué. Encore une fois à l’Opéra Comique, on ressort enjoué d’une soirée complète en tout point !

Au-delà d’une mise en scène plutôt simple, efficace et élégante, on doit reconnaître à Denis Podalydès une grande fidélité au livret inspiré du « Chandelier » d’Alfred de Musset , ainsi qu’un soin appuyé au jeu d’acteurs. Les tableaux sont fluides, les postures naturelles et les acteurs semblent pleinement à l’aise avec les choix de l’apprenti metteur en scène à l’opéra. Les décors d’Eric Ruf sont sobres, soignés et poétiques, habilement mis en lumière par Stéphanie Daniel. Des préaux en bois, des fagots, quelques chaises et tables habillent la scène alors que l’on s’amuse, se cache et bavarde sous les légers flocons de neige. L’intrigue se poursuit dans la chambre de Jacqueline où trône au centre l’armoire qui dissimule le capitaine.
Caroline Alexander écrivait il y a dix ans pour la création de ce Fortunio version Podalydès qu’il était « plein de charme » et que « la nostalgie prenait le pas sur la frivolité ».
Le tout plaît évidemment, mais souffre peut-être d’un peu trop de sagesse… qui n’est pas un vilain défaut !

L’intrigue se bâtit autour d’un carré magique : Jacqueline qui affole le cœur de trois hommes, son mari jaloux et cocu Maître André, le capitaine séducteur Calvaroche, et le jeune clerc Fortunio. L’intrigue n’est pas si complexe, voici un entremêlement des cœurs : Maître André apprend qu’un homme est passé dans la chambre de sa femme, sans savoir qu’il s’agissait de Calvaroche, pour qui il voue pourtant une admiration et une amitié aveugle. Jacqueline et Calvaroche s’accordent alors pour qu’un « chandelier » les aide à dissimuler cette aventure… Mais Fortunio, que l’on prenait pour un enfant, tombe, lui aussi amoureux de Jacqueline, qui découvre derrière la figure enfantine du clerc, toute la sensibilité et l’épaisseur d’un homme. Quatuor d’amours cachées, d’infidélité et de tendresse : on s’émeut tout autant que l’on rit devant ce Fortunio.

Les costumes, signés Christian Lacroix, sont d’une subtile élégance. Classiques, d’époque, les dames portent de longues robes, les hommes des manteaux sombres, quand les uns et les autres ne badinent pas en tenues de nuit dans la chambre. On goûte le joli travail sur les matières et les étoffes, que l’on prend d’ailleurs plaisir à revoir aux saluts !

Dans cette ambiance feutrée d’hiver, la musique trouve un écrin fort à-propos.

En Fortunio, Cyrille Dubois brille d’abord par la justesse et la sincérité de son jeu. On croit en ce Fortunio sensible, romantique et tendre, dont l’expression des sentiments est parfaitement traduite par un visage expressif et un langage du corps précis : la douleur et la peur se communiquent. La performance vocale est excellente : la voix est clairement projetée, le phrasé élégant, les nuances maîtrisées.

Celle qui fait tourner la tête des hommes le fait avec grâce, et beaucoup d’application. On apprécie la Jacqueline d’Anne-Catherine Gillet, dont le talent avait été entendu il y a quelques mois dans la même salle pour le réussi Madame Favart. Sa voix fine, ses aigus clairs et son vibrato serré font de la soprano française une Jacqueline efficace, séductrice et espiègle.

Jean-François Bou fait un capitaine énergique, orgueilleux et remuant, dont les qualités d’acteur complètent une belle prestation vocale. Le timbre est chaud, la voix posée, et l’allure conquérante.

On a envie de plaindre ce pauvre Maître André, roulé dans la farine, dont la naïveté le prive de la réalité, dans bien des situations cocasses : sa femme ne cesse de le tromper. Franck Leguérinel, drôle et attendrissant, joue très justement le rôle sans jamais ternir une prestation vocale sûre.

Philippe-Nicolas Martin fait un Landry vaillant et convainquant, à la voix claire et la diction très précise.
Pierre Dheret et Thomas Dear en lieutenants, Aliénor Feix en Madelon, Luc Bertin-Hugault en Maître Subtil, complètent un plateau vocal français de belle qualité avec des seconds rôles bien incarnés.

A la baguette, Louis Langrée amène l’Orchestre des Champs Élysées à une prestation très complète. La direction trouve un juste équilibre entre dynamisme et douceur pour interprétation cette partition riche, dont on apprécie toutes les subtilités et les détails, la finesse de l’écriture, la précise adéquation entre le son des mots et le phrasé de la musique. Le chœur Les éléments ajoute sa belle touche d’énergie et de couleur à l’ensemble musical !

L’Opéra Comique offre un répit salvateur avec cette reprise de Fortunio, la salle Favart s’isole pour une soirée des tourments de la ville.


Fortunio

Comédie lyrique en quatre actes d’André Messager.
Livret de Gaston Arman de Cavaillet et Robert de Flers d’après Le Chandelier d’Alfred de Musset.
Créé à l’Opéra Comique en 1907.

Direction musciale – Louis Langrée
Mise en scène – Denis Podalydès, sociétaire de la Comédie Française
Décors – Eric Ruf
Costumes – Christian Lacroix
Lumières – Stéphanie Daniel

Avec :
Fortunio – Cyrille Dubois
Jacqueline – Anne-Catherine Gillet
Maître André – Franck Leguérinel
Clavaroche – Jean-Sébastien Bou
Landry – Philippe-Nicolas Martin
Lieutenant d’Azincourt – Pierre Dheret
Lieutenant de Verbois – Thomas Dear
Madelon – Aliénor Feix
Maître Subtil – Luc Bertin-Hugault
Guillaume – Geoffroy Buffière
Gertrude – Sarah Jouffroy
Comédien – Laurent Podalydès
Enfants – Maîtrise populaire de l’Opéra Comique
Malcolm Namgyal, Suzanne Laurens, Madeleine Dumas-Primbault, Solal Dages-des-Houx

Chœur Les éléments

Orchestre des Champs Élysées

Assistant musical – Julien Masmondet
Collaborateurs artistiques à la mise en scène – Laurent Delvert & Laurent Podalydès
Assistante décors – Dominique Schmitt
Assistant costumes – Jean-Philippe Pons
Cheffe de chant – Marine Thoreau La Salle
Chef de chœur – Joël Suhubiette

Production - Opéra Comique
Reprise de la production de décembre 2009
Coproduction – Opéra national de Lorraine
à l’Opéra Comique, les 12, 14, 16, 18 et 20 décembre 2019, à 20h
le 22 décembre 2019, à 15h

A propos de l'auteur
Quentin Laurens

1 Message

  • Fortunio d’André Messager 30 décembre 2019 19:27, par jacques Duloroy

    Tout à fait d’accord avec votre critique.
    Un petit détail, Excellentissime Anne-Catherine Gillet n’est pas française mais belge ;-) ...

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