Critique – Opéra-classique

ET LE COQ CHANTA d’après les Passions de Jean-Sébastien Bach

Quand Bach prend des allures d’opérette et tend la main à Offenbach

ET LE COQ CHANTA d'après les Passions de Jean-Sébastien Bach

A première vue (ou première écoute) rien ne les relie. De Bach à Offenbach le fossé semble infranchissable. Et pourtant en cette fin d’année 2014, deux éléments les rassemblent : un lieu (le théâtre de l’Athénée), un chef d’orchestre (Christophe Grapperon). On pourrait y ajouter le plaisir des transgressions.

En attendant la reprise de La grande Duchesse d’après la Grande Duchesse de Gerolstein de Jacques Offenbach créé il y a un an par la compagnie des Brigands, fidèles amuseurs des fêtes de fin d’année de l’Athénée (voir WT 3962 du 19 décembre 2013), Christophe Grapperon y dirige un étrange patchwork scénique des Passions de Jean-Sébastien Bach.

Sortir du concept concert classique, mettre en espace ou en scène la musique orchestrale ou symphonique n’est pas nouveau. Le parer, s’agissant d’un répertoire religieux, des traits et attraits d’une comédie musicale est en revanche culotté et non sans risques. Alexandra Lacroix et François Rougier tentent d’en contourner les pièges avec une bonne dose d’humour et une interprétation musicale plausible. Les quatre Passions du grand Jean-Sébastien sont citées – en tête, celles de Mathieu et de Jean, suivies par celles de Marc et de Luc -. En ouverture la Cène est transformée en festin de famille, où les convives ripaillent sur de la vaisselle de grands bourgeois. Ils sont treize à table, deux comédiens cinq chanteurs (baryton, contre-ténor, baryton basse, soprano, ténor), six musiciens (hautbois, violoncelle, contrebasse, violon & alto, clavecin & orgue) qui se partagent les rôles, les intermèdes parlés, chantés, joués. En ouverture, un murmure a capella fait office de bon appétit. Parmi eux se dissimule des traîtres, Judas au baiser fatidique, mais aussi d’autres qui se relayent. Jésus bien en muscles et en appétit se livre à un strip tease inachevé avant de subir le supplice de la crucifixion, Pilate va jusqu’au bout du déshabillage en complétant le lavage de ses mains par un bain complet, tout nu, dans une baignoire à l’ancienne.

Des poux dans la tête

Le plateau tourne, passe de la table géante du dîner prémonitoire, à une chambre avec lit et salle de bain. Le panneau qui sépare les deux espaces pivote pour constituer un mur à travers lequel les traîtres se chuchotent des secrets. Les trouvailles – vraies ou fausses, certaines sentent l’usure – abondent, les unes sont d’une drôlerie souriante, d’autres pèsent lourdement comme la chasse aux poux que la soprano s’acharne à trouver dans les tignasses de ses partenaires.

On peut trouver d’un goût douteux de soumettre cette musique sublime à ces poses vaudevillesques. Mais le génie de Bach résiste à tout, il se fond même dans la mascarade sans perdre son magnétisme. Les chanteurs (Mathieu Dubroca (baryton en rondeurs), Théophile Alexandre (contre-ténor ailé), Aurore Bucher (soprano bien claire), Matthieu Lécroart (baryton basse couleur marron cuivré) François Rougier (ténor) et musiciens (Alice Coquart au violoncelle, Camille Delaforge au clavecin et au positif, François Leyrit à la contrebasse, Patrick Oliva et Sharman Plesner aux violon et altos, Jon Olaberria au hautbois baroque) le servent avec conviction et même ardeur. Tous chantent et jouent sur leurs instruments sans partition se promenant d’une scène à l’autre, d’une passion à l’autre, sans perdre le fil ou plutôt le sens ce qu’ils jouent.

Christophe Grapperon, invisible du public, les dirige en suivant au plus près leurs évolutions et parcours. Toujours juste entre silences, cadences et harmonies.

...et Offenbach succède à Bach

Il sera plus présent visuellement à partir du 23 décembre quand Offenbach succédera à Bach et que sa Grande Duchesse avec ses gags en pagaille réinstallera ses décors sur ce même plateau. * Une Grande Duchesse amputée de son duché, taillée aux mesures des effectifs des Brigands (neuf chanteurs, dix musiciens), tous fidèles pourtant à la causticité de son humour roulant dans la farine de ses saillies les armées et leurs illusions de pouvoir.
A revoir ou découvrir pour le plaisir des militaires qu’on aime, qu’on aime, qu’on aime, pour le sabre de mon père qui découpe les nostalgies dans les costumes malicieux d’Elisabeth de Sauverzac.

Et le coq chanta, d’après les Passions de Jean-Sébastien Bach, adaptation et mise en scène Jean-François Rougier et Alexandra Lacroix, direction musicale Christophe Grapperon. Avec Théophile Alexandre, Aurore Bucher, Mathieu Dubroca, Mathieu Lécroart, François Rougier, Julie Dumas, Simon Pitaqaj, Alice Coquart, François Leyrit, Jon Olaberria, Patrick Oliva, Sharman Plesner.

du 11 au 17 décembre à 20h

*La Grande Duchesse, d’après La grande Duchesse de Gerolstein de Jacques Offenbach, adaptation Thibault Perrine, direction musicale Christophe Grapperon, mise en scène Philippe Beziat, avec Isabelle Druet, David Ghilardi
Emmanuelle Goizé …

du 23 décembre au 10 janvier 2015 à 20h

Théâtre de l’Athénée 01 53 05 19 19 – www.athenee-theatre.com

Photos Vincent Brugère

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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