Duras-Platini de Barbara Chanut

La rencontre historique entre deux monstres sacrés pas si différents

Duras-Platini de Barbara Chanut

La scène comme un mini-terrain de football avec le public en ovale tout autour sur des bancs comme des gradins. Au centre, un gazon synthétique symbolise le terrain sur lequel se tient la rencontre historique entre les deux supers héros de la deuxième partie du XXème siècle : Marguerite Duras et Michel Platini. L’icône de la littérature versus celle du football. Barbara Chanut transplante sur la petite scène de la Reine Blanche l’interview, réalisée pour Libération en décembre 84, par l’autrice française la plus traduite au monde du footballeur tricolore le plus primé. Un texte qu’elle connait bien pour l’avoir choisi comme travail de fin d’étude au Conservatoire de Rennes en 2017 et qui deviendra le premier projet de sa Compagnie Sochin, fondée en 2020.

Dans sa mise en scène efficace comme un match, Barbara Chanut, elle-même sportive de haut-niveau (elle pratique le karaté), place vis-à-vis deux corps qui se jaugent et intervertissent leurs rôles. L’autrice exalte sa foi et son enthousiasme pour le football dont elle se dit fervente supporter. Lui, de son côté, donne des mots à son ressenti lors des évènements qui ont marqué sa carrière. Sans chercher, et c’est tant mieux, à imiter leur modèle respectif ni dans le physique ni dans la diction, les deux interprètes, Cyrielle Rayet pour elle, Neil-Adam Mohammedi pour lui, donnent à cette rencontre un maximum d’intensité. Au bord du plateau, comme sur un banc de touche, la créatrice sonore Liza Lamy introduit par intermittences des sons en direct qui mettent en contexte la performance.

Le spectacle reprend l’intégralité de l’entretien paru dans Libération. Il aurait sans doute pu s’en tenir là. Mais la metteuse en scène a fait le choix d’intercaler des monologues parfois un peu longuets où chacun dit des passages de son livre. Écrire (1993) pour Marguerite Duras, qui évoque la nécessité vitale pour elle de l’écriture. Et Ma vie comme un match (1987), pour Michel Platini, qui retrace sa carrière et le sentiment de solitude qui l’étreint après son dernier match pour la Juve de Turin, sa « première mort », celle de footballeur.

Echange savoureux

A l’occasion de la sortie de l’ouvrage du footballeur (chez Robert Laffont), Marguerite Duras, investie du rôle de journaliste par Libération, le reçoit donc dans les bureaux du quotidien. L’échange est à chaque instant savoureux. Elle s’obstine à prononcer [ fotbal ] pour bien marquer son attachement à cette passion populaire française que, dit-elle, elle vit intensément dans les matchs télévisés. Avec une fausse candeur un peu appuyée par Cyrielle Rayet, elle s’exalte. Lui corrige et prononce [foutbaul], parle en termes plus sobres, plus retenus. Mais n’en évoque pas moins avec profondeur les événements qui l’ont marqué. Comme la tragédie du Heysel, à Bruxelles, le 29 mai 1985, où 39 supporters ont trouvé la mort, et où la partie se tenant malgré tout, il a marqué le seul but (sur penalty) de la soirée.

Peu à peu les deux se « lâchent » et chacun sort de son camp physique et symbolique. Marguerite laisse transparaître la puissante séduction que le footballeur exerce sur elle, parle de son « angélisme ». Mais elle essaye aussi de le pousser plus loin dans ses retranchements pour parler de sa solitude et du désespoir qui, selon elle, l’habitent. Lui se montre plus réticent, essayant de lui expliquer que le football « n’a pas de vérité ». En quoi, malgré les apparences, ils sont bien sur la même longueur d’onde.

Duras-Platini, jusqu’au 26 novembre au Théâtre de la Reine Blanche, les mercredis et vendredis à 21h et les dimanches à 18h, https://www.google.com/search?client=firefox-b-e&q=theatre+Reine+Blanche
Avec Neil-Adam Mohammedi, Cyrielle Rayet, Liza Lamy et Barbara Chanut
Mise en scène : Barbara Chanut. Dramaturgie : Louis Ripault.
Régie générale et création lumière : Clément Balcon. Régie lumière : Rose Bienvenu
Photo Maléna Bérenguer Logerais

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de sa...

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