Théâtre du Capitole (Toulouse)

Don Carlo

Sous le joug de l’Eglise, les sacrifices d’amour et d’amitié

Don Carlo

Pour l’ouverture de sa nouvelle saison, le Capitole de Toulouse a offert le plus beau et le plus complexe des opéras de Verdi, sur un plateau d’or, où l’or des voix se fondaient dans l’or de ce grand siècle d’Espagne dont témoignèrent El Greco, Ribera ou Velázquez.

L’une des caractéristiques du travail de Nicolas Joël, metteur en scène et directeur du Capitole, est cette sorte d’alliage d’efficacité et de beauté avec lequel il signe ses réalisations. Don Carlo de Verdi, la dernière en date, en apporte une saisissante illustration. Un travail à la fois d’intelligence et d’humilité où à aucun moment il ne cherche à imprimer sa patte par-dessus celle des auteurs. Il aime les servir. Avec grandeur, il est vrai, car il n’a pas lésiné sur les moyens, ni au niveau de la somptuosité des décors et des costumes et encore moins à celui d’une distribution capable de rivaliser avec les plus grandes maisons d’opéra.

Une œuvre qui fait ricochet sur notre siècle

Ainsi la tragédie lyrique, amoureuse et politique, que Verdi tira de l’une des œuvres essentielles de Friedrich Schiller prend tout son sens, et, fait ricochet sur le siècle que nous vivons avec ses guerres fratricides et ses croisades ne laissant derrière elles que cendres et désolation. Quand Rodrigo, marquis de Posa, implore Philippe II de mettre un terme à sa guerre dans les Flandres réduites en ruines, l’ombre de l’Irak d’aujourd’hui s’interpose d’elle-même, sans besoin de battle dress, de bombardiers ou de drapeau étoilé.
C’est la force de ce pur chef d’œuvre où se superposent et se mêlent trois thèmes. Celui de l’amour conjugué en trois temps : via l’amour fou de l’Infant d’Espagne Carlo pour Elisabeth de Valois qui lui avait été promise mais qui pour des raisons d’Etat a dû épouser son père, via la solitude affective de ce père, ce Philippe II, qui sait qu’il n’est pas aimé de celle dont il a fait sa reine, via la passion inassouvie de la princesse Eboli qui se croyant trahie, trahit à son tour. Puis le thème politique, la guerre dans les Flandres et surtout le poids de l’Eglise d’alors et du pouvoir absolu de l’Inquisition. Le thème de l’amitié enfin, qui de fait domine tous les autres et ne trouve son équivalent dans aucune autre œuvre, amitié absolue qui va jusqu’au sacrifice ultime : Rodrigo choisit de mourir pour et à la place de Carlo. Le duo qui scelle leur pacte est l’un des plus bouleversants jamais écrits dans l’histoire de l’opéra.

Des décors jouant sans cesse sur le monumental

Un Christ en croix géant, en perspective suspendue, domine le plateau. L’effet est saisissant et donne aussitôt le « la » de ce qui va suivre, jusqu’à l’image finale où il bascule la tête en bas pour laisser place au tombeau de Charles Quint. Avec, seule coquetterie de la mise en scène de Nicolas Joël, l’apparition fantomatique de l’empereur mort dont généralement on n’entend que la voix. Les décors jouant sans cesse sur le monumental se suivent un peu lentement imposant parfois de longs temps morts entre les tableaux. Mais ceux-ci une fois découverts trouvent aussitôt leur signification, leur rythme et leurs couleurs jaillies tout droit des toiles d’un Velázquez ou d’un Greco. Maurizio Benini mène l’Orchestre du Capitole à un train d’enfer et Nicolas Joël fait habiter les espaces avec rigueur, sans se poser trop de questions psychomachinchose mais en donnant aux chanteurs les moyens de s’exprimer sans acrobatie.

Ludovic Tézier, meilleur baryton de sa génération

Fabio Armiliato campe un Don Carlo monté sur ressort, tout fou-fou, en excès permanent avec une voix claire et puissante qui joue à saute-montons avec les émotions, la chaleur de la basse Roberto Scandiuzzi confère à Philippe II une humanité, qui dans son grand air de désespoir « amor per me non ha » - « elle n’a pas d’amour pour moi  » ferait sangloter un rocher. Autre basse de belle envergure, Anatoli Kotscherga, en Grand Inquisiteur vénéneux et manipulateur. Si Daniela Dessi déçoit un peu par une Elisabeth plus reine-mère que princesse mal mariée et pas toujours en osmose avec la magnificence de la musique, c’est aussi parce que sa performance est éclipsée par celle, éblouissante de Béatrice Uria-Monzon, Eboli charnelle, palpitante jusque dans ses aigus. La palme de la soirée revient à Ludovic Tézier, souverain Rodrigo de Posa, chant en plénitude, timbre cuivré d’une rare richesse. Un rôle qui lui vaut la consécration de meilleur baryton de sa génération. C’est pour lui que Nicolas Joël a décidé de monter ce Verdi-là. Il a bien fait.

Don Carlo, de Giuseppe Verdi et Friedrich Schiller, Orchestre National du Capitole, direction Maurizio Benini, mise en scène Nicolas Joël, décors Ezio Frigerio, costumes Franca Squarciapino, avec Daniela Dessi, Béatrice Uria-Monzon, Fabio Armiliato, Ludovic Tézier, Roberto Scandiuzzi, Anatoli Kotscherga - Théâtre du Capitole à Toulouse, les 7,12,18 octobre à 20h, 9 & 16 octobre à 16h -
05 61 63 13 13.

Photo : Patrice Nin

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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