La mer ? Oh, so British !

Au Festival de Montpellier, un concert consacré à des œuvres d’Elgar et Vaughan-Williams.

La mer ? Oh, so British !

AVEC POUR DEVISE « SO BRITISH », l’édition 2022 du Festival Radio France Occitanie Montpellier a permis, pour cette dernière édition imaginée et dirigée par Jean-Pierre Rousseau, de savourer toutes sortes de chefs-d’œuvre de la musique britannique au long de plusieurs siècles, mais aussi et surtout de découvrir des œuvres rares, méconnues ou qui tout simplement n’avaient encore jamais été programmées en France depuis leur création. Le concert du 21 juillet alliait, sur le thème de la mer, les deux caractéristiques puisqu’y étaient programmés les magnifiques Sea Pictures (1899) d’Elgar, œuvre bien connue des amateurs, et en seconde partie un monument encore jamais joué en France : la Symphonie n° 1, dite A Sea Symphony (Symphonie de la Mer) de Ralph Vaughan-Williams (1910).

La mer, toujours recommencée...
Immortalisés entre autres par une soliste d’exception : Janet Baker, qui les a enregistrés avec le London Symphony Orchestra, sous la direction de Sir John Barbirolli en 1965, les Sea Pictures (Marines) d’Elgar ont été composées sur des textes de poètes divers, dont l’épouse du compositeur, Caroline Alice Elgar, pour le deuxième : In Haven Capri – Dans le port de Capri. La mer et son mystère, sonore et scintillante, entre splendeur et abysses, tumultes et paix rayonnante : voilà qui forme le cœur de chefs-d’œuvre musicaux tout au long de l’histoire de la musique occidentale : de Monteverdi à Berio, en passant par Mendelssohn, Rossini, Wagner, Debussy ou encore Jacques Ibert, pour ne citer que les plus célèbres. Elgar, dont la musique est bien souvent marquée par la tradition symphonique germanique, laisse affleurer au long de ces cinq mélodies des échos du lyrisme wagnérien, en particulier dans la troisième mélodie, Sabbath Morning at Sea. Mais le monde orchestral du compositeur britannique présente également de curieuses affinités avec celui de Richard Strauss, dans ses lignes, son type de lyrisme, sa plénitude. En écoutant In Haven Capri, on songe par instants au beau mouvement du poème symphonique Aus Italien (De l’Italie) composé par Strauss en 1886, intitulé Am Strande von Sorrent (Sur la plage de Sorrente).

Coups de projecteur
L’interprétation de Marianne Crebassa et de l’Orchestre national de France ne m’a pas convaincue : la voix, qui ne possède peut-être pas naturellement des graves aussi pleins qu’il faudrait pour ce répertoire, force un peu pour les atteindre et produit des sons par trop poitrinés, ce qui est bien sûr inévitable pour une voix de mezzo (alors que le cycle a été conçu pour un contralto). Mais c’est surtout la conception de cette musique par Marianne Crebassa qui m’a posé question : la chanteuse semble entendre d’abord dans l’œuvre d’Elgar tout ce qui relève du passionnel et de l’hyperromantisme, laissant relativement de côté la profonde plénitude de cette musique et ses aspects oniriques. C’est du moins l’impression que l’on peut avoir en écoutant sa façon d’articuler les phrases, de proposer des accents et des coups de projecteur sur certaines syllabes, là où l’on souhaiterait au contraire que la ligne soit absolument stable, unie, dans un legato imperturbable.

La direction de Cristian Măcelaru est également problématique dans son prosaïsme et, pour moi, son manque de subtilité et de rondeur. Si l’on osait une supposition, ce serait celle d’un orchestre insuffisamment préparé et d’un abord trop tardif de l’œuvre… Comme si la partition se voyait exécutée dans sa vérité et l’exactitude de son tracé, oui, mais non intégrée véritablement par les musiciens, ni par leur chef. Cela ne peut suffire, à mon sens, à combler l’attente de l’auditeur.

Un océan choral
Quant à la Symphonie n° 1 de Vaughan-Williams, monument symphonique et choral émaillé de parties solistes de toute beauté, que le public de Montpellier devait écouter en seconde partie du concert avec deux solistes d’exception, la soprano Jodie Devos et le baryton Gerald Finley, elle a connu un incident impressionnant : Jodie Devos ayant été prise d’un malaise sur scène avant même sa première intervention chantée, l’œuvre s’est vue amputer d’une partie de son premier mouvement, mais fort heureusement interprétée partiellement, après que Jodie Devos, avec un cran remarquable et remarqué, a résolu de revenir sur scène pour les autres mouvements. Il en est résulté une écoute un peu éprouvée par ce coup de théâtre et l’interruption du premier mouvement, mais qui a peut-être contribué, paradoxalement, à intensifier l’attention du public montpelliérain.

L’œuvre est d’un style que l’on pourrait dire colossal (dans sa durée, son ambition, l’ampleur de ses parties chorales) – qualificatif que l’on a pour habitude de réserver, à tort, au symphonisme germanique postromantique… Même réduite à trois mouvements, elle impressionne par son art de la profération (magnifique Chœur de Radio France), ses nombreuses incursions dans la tradition populaire anglaise, son projet mystique. Océanique, la symphonie l’est d’abord par sa richesse sonore et l’amplitude de ses mouvements. Le troisième mouvement s’intitule d’ailleurs The Waves (Les Vagues). Si l’Orchestre National de France et son chef semblaient ici plus investis que dans le cycle d’Elgar, le véritable changement de cap tenait à la remarquable interprétation des deux solistes : Jodie Devos a soulevé l’enthousiasme, non seulement bien sûr par le courage qu’elle a montré en surmontant son évanouissement du début du concert, mais surtout par la beauté de sa voix (douceur et mystère, intensité et poésie) et la subtilité de sa vision. Formant un couple de toute beauté avec la voix du baryton britannique Gerald Finley, comme un poisson dans l’eau (sans mauvais jeu de mots…) dans ce répertoire qui lui est de toute évidence très familier, le duo a véritablement tenu la barre très haute.

Illustration : Gerald Finley, Jodie Devos et Cristian Măcelaru (photo Luc Jennepin)

Edward Elgar : Sea Pictures. Ralph Vaughan-Williams : A Sea Symphony. Marianne Crebassa, mezzo-soprano, Jodie Devos, soprano, Gerald Finley, baryton. Orchestre National de France, Chœur de Radio France, direction : Cristian Măcelaru. Montpellier – Le Corum, Opéra Berlioz, 21 juillet 2022.

A propos de l'auteur
Hélène Pierrakos
Hélène Pierrakos

Journaliste et musicologue, Hélène Pierrakos a collaboré avec Le Monde de la Musique, Opéra International, L’Avant-Scène Opéra, Classica, etc. et produit des émissions sur France Musique, France Culture, la Radio Suisse Romande et, depuis 2007 :...

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