Des caravelles et des batailles de Doratiotto & Piret

Des mots plantés dans l’imaginaire

Des caravelles et des batailles de Doratiotto & Piret

Où sommes-nous ? Quelque part ailleurs. Quand cela se passe-t-il ? Dans un temps incertain et lui-même indéfinissable. Quelles activités pratique-t-on ? Celles susceptibles d’être une occupation apportant une satisfaction éventuelle. Comment fonctionne ce microcosme ? À travers les paroles prononcées par les protagonistes vivant bénévolement une vie à vivre là où on est, ensemble et seul.

Le plateau est entouré de tentures noires. Quelque part dans l’espace est planté, un peu en oblique, un arbre-colonne destiné à soutenir un plafond. Au lointain aussi bien que côté cour et jardin, des sorties débouchant vers quelque part. Au cœur de cet endroit inconnu vivent des individus qui vaquent à des occupations diverses plus ou moins définies.

Ici tout est particulièrement serein. Une sorte de secteur territorial utopique. Les règles indéfinies sont respectées d’un commun accord. Aucune hiérarchie ne semble structurer cette communauté où chacun est sempiternellement curieux de découvrir et de partager des impressions, des sensations. Il n’est apparemment pas question d’argent.

Des individus ne cessent de se croiser, de partir vers diverses directions et de revenir ici même, là où ils ne cessent de se croiser. Le passé est peu évoqué. Le présent est sans conteste toujours présent. L’avenir n’est guère envisagé, du moins en tant qu’objectif précis à atteindre.

Du coup, tout est devenu étrange en devenant aussi très familier. Le public suit donc les propos des protagonistes qui lui décrivent jusque dans le moindre détail des choses et des situations invisibles mais tellement présentées avec minutie qu’on pense bien les voir en même temps qu’eux. Car cet univers-là existe bel et bien puisque certains êtres débarquent pour s’adjoindre aux habitants déjà installés.

C’est un monde où on veut « avancer jusqu’aux portes de la vie », qui prend sa source dans "La Montagne magique" de Thomas Mann. C’est un monde absurde. Pas angoissant comme chez Kafka ou Gilliam. Pas délirant comme chez Ionesco. Pas en attente métaphysique comme chez Beckett. Pas débridé comme chez Lewis Caroll. Pas infantile comme chez les Bisounours. Il est obligeamment absurde au point de susciter des rires libérateurs. Pas moqueurs, ni provocateurs, ni cyniques, ni accusateurs, ni avilissants. De vrai rires, quoi.

D’ailleurs, en ce lieu, je crois bien que je vais y retourner. Et d’ailleurs, c’est sûr, les comédiens sont là, sur le plateau, regardez-les, ils guettent avec gentillesse et une sérénité de parole, avec une conviction désarmante, celle ou celui qui, passant par là, les rejoindrait.

03>21 avril 2023 Théâtre de la Bastille, Paris
Durée : 1h40

Mise en scène : Éléna Doratiotto, Benoît Piret
Avec : Salim Djaferi, Éléna Doratiotto, Gaëtan Lejeune, Benoît Piret, Jules Puibaraud, Anne-Sophie Sterck
Écriture : Éléna Doratiotto, Benoît Piret
Collaboration à l’écriture et à la dramaturgie : Salim Djaferi, Gaëtan Lejeune, Jules Puibaraud, Anne-Sophie Sterck
Collaboration à la mise en scène et à la dramaturgie : Nicole Stankiewicz
Scénographie : Valentin Périlleux
Regard scénographique, costumes : Marie Szernovicz
Création lumière, régie générale : Philippe Orivel
Régie plateau : Clément Demaria
Chargées de production et diffusion : Aurélie Curti, Catherine Hance, Laetitia Noldé
Production : Wirikuta ASBL
Coproduction : Festival de Liège, Mars-Mons Arts de la Scène, Théâtre JeanVilar (Vitry-sur-Seine), Maison de la Culture de Tournai, La Coop asbl
Aide : Fédération Wallonie-Bruxelles Service du Théâtre (CAPT).
Soutien : MCA Recycling sprl, tax-shelter du gouvernement fédéral belge,
Bamp (Brussels art melting pot),Théâtre Varia (Bruxelles), La ChaufferieActe1, Zoo Théâtre, Raoul Collectif.
Accompagnement : L’L-Structure expérimentale de recherche en arts
vivants (Bruxelles)
Photo © Hélène Legrand
Lire : Eléna Doratiotto, Benoît Piret, "Des caravelles et des batailles", Paris, éd. esse que, 2022

A propos de l'auteur
Michel Voiturier
Michel Voiturier

Converti au théâtre à l’âge de 10 ans en découvrant des marionnettes patoisantes. Journaliste chroniqueur culturel (théâtre – expos – livres) au quotidien « Le Courrier de l’Escaut » (1967-2011). Critique sur le site « Rue du Théâtre »...

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