Paris – Théâtre des Champs Elysées jusqu’au 7 mai 2013

DON GIOVANNI de Wolfgang Amadeus Mozart

Noir d’encre, taillé à la serpe, découpé au laser : un Don Giovanni obsédé sexuel sans état d’âme

DON GIOVANNI de Wolfgang Amadeus Mozart

Le Festival Mozart, initié en 2010 au Théâtre des Champs Elysées par son directeur Michel Franck, se poursuit avec un Don Giovanni qui torpille les lieux communs. Le chef d’orchestre Jérémie Rhorer et le metteur en scène Stéphane Braunschweig sont à la barre. Ils avaient déjà signé ensemble Idoménée du même Mozart (voir WT Idomeneo de W. A. Mozart du 19 juin 2011) qui n’avait pas tout à fait convaincu. Mais ce Don Giovanni taillé à la serpe, tout en angles, découpé au laser du cynisme, hypnotise par sa froide cohérence et sa beauté funèbre.

Est-il le Don Giovanni, héros - anti-héros selon certain - de tous les fantasmes, de tous les mythes, est-il bien l’homme qui veut tout et qui n’a peur de rien ? Ici, il est obsédé sexuel, veule, tyran domestique… C’est lui, et c’est un autre. Il possède tant de « moi », d’égos divers qu’il peut se glisser et se fondre dans une foule d’identités. Si multiple et si humain à la fois, et surtout nourri d’une musique qui le rend immortel… Quelles sont ses relations aux femmes ? A Leporello ? Est-il son valet ? Son double ? Sa conscience ?

Variations autour d’un thème

Variations autour d’un thème. Pour n’en citer que quelques unes : le metteur en scène et cinéaste allemand Michael Haneke, en fait un jeune loup aux dents qui rayent le parquet dans le monde des affaires. A Aix-en-Provence, Peter Brook l’avait imaginé errant et immature, perpétuellement à la recherche d’un horizon, se laissant materner par une Donna Elvira aux petits soins. Au Capitole de Toulouse Brigitte Jaques l’avait lâché dans la nature comme un pur sang ayant rompu ses brides. Pierre Constant au Théâtre des Champs Elysées, dans la réalisation de sa trilogie Mozart-Da Ponte, l’avait sacré militant de la liberté absolue. L’américain Peter Sellars situe toute l’action à Harlem, faubourg noir de New York et avait trouvé deux barytons, frères jumeaux dans la vie, pour incarner le couple Don Giovanni-Leporello, faisant du second le miroir intime du premier…

Noir absolu

Pour Stéphane Braunschweig, directeur du Théâtre National de la Colline à Paris, le noir est absolu, dans les décors et dans les âmes. Dramma si ! Giocoso no ! A la tête de son Cercle de l’Harmonie, Jérémie Rhorer emprunte la même tonalité. Dès la première mesure de l’ouverture on plonge dans la tragédie. Le rideau se lève sur des murs anthracite aux soubassements blancs. Sur un brancard posé à l’entrée de ce que l’on imagine un crématoire, un mort git sous un linceul. A ses côté Leporello pleure son maître. Deux infirmières masquées fument. Le défunt reprend vie et vient les peloter avant de disparaître par une porte dérobée. Le plateau tourne. Les murs conservent leur contraste noir et blanc, ils sont percés de fenêtres par lesquelles on peut s’échapper et nantis de portes invisibles qui facilitent les fuites. L’espace se meuble de brancards, de civières, de tables de massage et surtout de lits, de leurs draps, oreillers et couettes. On y passe à l’acte sans préambule et sans précaution. Une sensualité contagieuse sert de fil rouge. Elle contamine Leporello qui dénude une poupée Barbie durant son air du catalogue : troublante image !.

Don Giovanni selon Braunschweig ne pense qu’à ça. Un affamé du sexe. Sa vie se déroule dans le huis clos de ses pulsions. Il se fiche de la mort qui grimace sous les masques. Il la retrouve dans la morgue qui tient lieu de cimetière. Elle prend la figure du Commandeur. Il l’accueille à sa table, lui tend la main, se livre à lui. Sans trembler.

Le baryton autrichien Markus Werba est un séducteur au charme de sale gamin, enfant gâté plutôt chétif de taille et même de voix : de l’élégance, de belles couleurs mais ni le trouble ni l’exaltation de l’enjôleur auquel on ne refuse rien. Le timbre sonne d’autant plus retenu que celui du Leporello de Robert Gleadow, baryton basse canadien, s’envole en force et en graves onctueux. Costaud, beau gosse, il réussit pourtant à composer un domestique trouillard, constamment aux aguets, prêt à se vendre pour quelques billets. On aurait volontiers inversé les rôles, laissé Gleadow incarner un Don Giovanni à la séduction musclée et Werba se glisser dans la peau d’un valet timoré.

Au rayon des hommes, le Commandeur a trouvé en Steven Humes, basse américaine, un âge encore vert, de la noblesse et de la profondeur, Masetto par l’argentin Nahuel di Pierro fait preuve de fougue rageuse tandis que Daniel Behle réduit Don Ottavio à un petit bourgeois sans relief. Les femmes ne brillent pas toutes du même éclat, il est vrai que leurs rôles imposent de sacrées prouesses. Ni Sophie-Marin Degor/Donna Anna, ni Miah Persson/Donna Elvira ne sont idéales. La première a du coffre, un medium lustré mais manque de précision, la seconde, un rien popote, vocalise sans rayonnement. Zerlina remporte la mise, son chant est moins piégé c’est vrai, mais il est vrai aussi qu’elle a trouvé en Serena Malfi, mezzo italienne, un double au caractère trempé, sensuelle de jeu, chaleureuse et pimentée de voix. Son duo avec Leporello à l’acte II, si rarement chanté – il fut rajouté à Vienne après la création de Prague - est un régal.

A l’unisson avec le parti-pris de l’inédite mise en scène de Stéphane Braunschweig, Jérémie Rhorer fait régner la tempête chez ses musiciens sur leurs instruments anciens, tempos animés, récitatifs tout feu, tout flamme, au détriment parfois des plages de mélancolie dont Mozart a coloré la géniale musique de ce qu’il a été convenu d’appeler « l’opéra des opéras ».

Don Giovanni de Wolfgang Amadeus Mozart, livret de Lorenzo da Ponte ? Orchestre du Cercle de l’Harmonie, direction Jérémie Rhorer, mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig, costumes Thibault Vancraenenbroeck, lumières Marion Hewlett. Avec Markus Werba, Robert Gleadow, Miah Persson, Daniel Behle, Sophie-Marin-Degor, Serena Malfi, Nahuel Di Pierro, Steven Humes .

Théâtre des Champs Elysées les 25, 27, 30 avril, 3, 7 mai à 19h30, le 5 à 17h

01 49 52 50 50- www.theatrechampselysees.fr

Photos Vincent Pontet/Wikispectacle

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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