DEMOFOONTE de Niccolò Jommelli

• Publié par Caroline Alexander
• 17 juin 2009
• Critiques
• Opéra & Classique
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Salle comble à l’Opéra National de Paris samedi 13 juin pour la création française d’une œuvre inconnue d’un compositeur depuis longtemps oublié, Niccolò Jommelli (1714-1774), napolitain prolifique qui de son vivant fit une brillante carrière européenne mais qui depuis longtemps est relégué au rayon des curiosités.

L’aimant qui avait attiré un public compact et enthousiaste sous les ors du Palais Garnier n’était donc ni le compositeur ni son dernier opus lyrique Demofoonte, mais l’homme qui en dirigeait la partition : maestro Riccardo Muti, star de la baguette qui n’avait à ce jour jamais honoré de sa présence la fosse de l’Opéra de Paris et qui venait de remporter un triomphe au Festival de Saint Denis avec un Requiem de Verdi ovationné debout.

Directeur musical de la Scala de Milan durant près de 20 ans, prochain directeur artistique de l’Orchestre symphonique de Chicago, Riccardo Muti, natif de Naples, avait fait vœu de ressusciter les très riches heures du répertoire napolitain du 18ème siècle, ce qu’il fit pour nombre d’œuvres aujourd’hui régulièrement jouées. Il y a cinq ans il fondait "l’Orchestra Giovanile Luigi Cherubini", formation composée de jeunes instrumentistes recrutés sur concours et dédiée à cette école napolitaine. Ainsi furent débusqués durant les festivals de Pentecôte de Salzbourg un Cimarosa – Don Calandrino -, un Paisiello Il Matrimonio Inaspettato et la 4ème version de ce Demofoonte remis en selle en mai 2009 que l’Opéra de Paris vient d’accueillir en coproduction.

Metastasio, grande plume de son siècle

Mais ce n’est pas tant Jommelli qui se taillait la part du lion dans ce Demofoonte aux accents de Grèce antique mais son librettiste, le poète Pietro Metastasio (1698-1782), grande plume de son siècle qui inspira un nombre incroyable de compositeurs - dont Mozart fut sans doute le plus génial et qui conféra à sa Clemenza di Tito l’aura de l’immortalité -. Demofoonte livret culte dirait-on aujourd’hui inspira pas moins de 70 compositeurs ! Dont Gluck, Fasse, Piccinni, Paisiello et … Jommelli, l’homme de transition entre le baroque et le classique, disciple doué, appliqué des musiques de son temps.

Demofoonte raconte une histoire triste qui finit bien dans la lignée des operas seria, avec happy end et morale sauve. Le roi de Thrace doit chaque année sacrifier aux dieux de l’Olympe une vierge de son pays. L’oracle d’Apollon lui annonce que la pratique de cette barbarie prendra fin quand « l’innocent usurpateur du trône se connaîtra lui-même ». Drôle d’énigme qui se résoudra par un chassé croisé de quiproquos révélant que le fils du roi est secrètement marié avec la fille de son ministre, qu’il est père de famille et ne peut donc épouser la princesse que lui destine son père. Fuites, répressions, condamnations se succèdent jusqu’au dénouement qui dévoile que le fils de l’un et la fille de l’autre ne sont pas les enfants de leurs pères supposés, ce qui permet de tout faire entrer dans l’ordre. Une fin quasi burlesque qui a le don de faire rire.

Les battues impériales de Riccardo Muti

Le plat est copieux : 3h40 de spectacle avec deux entractes pour une musique finement élaborée et ornementée où les récitatifs succèdent à une ribambelle d’arias da capo qui s’enfilent comme les perles d’un collier sans fin. Certaines durent près de 15 minutes, l’épreuve est rude pour les jeunes chanteurs transformés en funambules des vocalises et roucoulades. Les filles dominent la distribution dans des rôles masculins-féminins avec, en tête, la magnifique mezzo Josè Maria Lo Monaco en Timante, le fils du roi qui ne l’est pas, présence généreuse, timbre rond, beau legato, la sensible Maria Grazia Schiavo, sa secrète épouse, l’élégante princesse de Eleonora Buratto, Valentina Coladonato véritable concentré de fraîcheur en jeune frère énamouré. Dmitry Korchak jeune ténor russe défend avec autorité et aplomb le rôle titre et ce n’est pas une mince gageure.

Cesare Lievi, metteur en scène, tente du mieux qu’il peut de sortir ses jeunes interprètes des ornières de leurs interminables numéros de solistes et réussit même à leur insuffler la passion du jeu. Le décor avec ses colonnades blanches renversées à l’horizontale, ses arbres qui poussent la tête en bas, ses coins de ciel étoilé et ses lumières marbrées est bien à l’image de cette histoire qui ne tient pas vraiment debout.

Les battues impériales de Muti, précises, structurées, éclairantes emportent les jeunes musiciens de son orchestre et signent la réussite d’une production ambitieuse et admirablement réglée. A Paris, elle ne fait que passer, on ne la retiendra pas.

Demofoonte de Niccolò Jommelli, livret de Pietro Metastasio, Orchestra Giovanile Luigi Cherubini, direction Riccardo Muti, mise en scène Cesare Lievi, décors Margherita Palli, costumes Marina Luxardo, lumières Luigi Saccomandi. Avec, en alternance Dmitry Korchak et Mario Zeffiri, Maria Grazia Schiavo et Barbara Bargnesi, Josè Maria Lo Monaco et Giacinta Nicotra, Antononio Giovannini et Nicholas Marchesini, Eleonora Buratto et Auxiliadora Toledano, Valentina Coladonato et Irini Kyriakidou, Valer Barna-Sabadus et Pamela Lucciarini, et l’enfant Ginevra Mazzoni.

Coproduction avec les Salzburger Festspiele et le Ravenna Festival.

Opéra National de Paris - Palais Garnier, les 13, 16, 18 & 20 juin à 19h30, le 21 à 14h30

00 33 (0)8 92 89 90 90 - www.operadeparis.fr 

Crédit photographique : Fred Toulet / Opéra national de Paris