Clara Schumann, toute une vie
Brigitte François-Sappey signe une biographie indispensable de Clara Wieck, devenue Clara Schumann par les vertus du mariage.
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- 8 mai 2023
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IL Y A UNE VINGTAINE D’ANNÉES, Brigitte François-Sappey avait publié aux éditions Papillon une biographie de Clara Schumann sous-titrée « L’œuvre et l’amour d’une femme ». Ce livre avait fait date. Il nous revient aujourd’hui dans une nouvelle édition généreusement augmentée, laquelle privilégie toujours, bien sûr, le parti pris chronologique, et le rend désormais indispensable.
On pardonnera à l’éditeur d’avoir affublé le titre de cette nouvelle version de la précision « Une icône romantique », sachant que le mot icône (avec artiste et quelques autres) est l’un des plus dévalués de notre temps : le footballeur Zidane est une icône tout comme Johnny Halliday ou le mannequin Estelle Lefébure (« Une icône en liberté », annonce le magazine Gala). Dans le numéro d’avril 2023 de L’Histoire, le masque d’Idia, reine du Bénin, est présenté comme une icône, cependant que l’infirmière de la Grande Guerre devient une « figure iconique ». Sur France Culture, dans une émission au cours de laquelle Brad Pitt est qualifié d’icône, on s’interroge doctement sur les icônes en devenir : car on réclame des icônes à foison, jusqu’au croque-monsieur du bar TGV qualifié lui aussi d’« iconique ». Etc.
Oublions, donc, même si la conception religieuse de l’art et de l’amour que professait Clara Wieck (1819-1896), devenue en 1840 madame Schumann, aurait sans doute justifié ce mot s’il avait été utilisé par notre temps d’une manière plus parcimonieuse.
Phtisie et folie
On ne rappellera pas ici la manière dont le père de Clara, Friedrich Wieck, fit du Wunderkind (c’est-à-dire « enfant merveilleux ») son chef d’œuvre de pédagogue, ni la manière dont l’adolescente puis l’artiste accomplie subjugua l’Europe entière par son prodigieux talent de pianiste, et ce au cours d’une longue carrière d’interprète qui dura de 1828 à 1891. On ne reviendra pas non plus sur la manière dont se nouèrent les amours de la jeune Clara avec Robert Schumann qui écrivit pour elle, dans les années 1830, alors que tout devait les séparer (et notamment l’intransigeance de Friedrich Wieck), des œuvres pour piano qui comptent parmi les plus belles qui soient. Ni sur les nombreuses maternités qui balisèrent la première partie de la vie de Clara, et s’échouèrent sur bien des drames : Julie morte de phtisie à vingt-sept ans, Ludwig enfermé comme son père dans un asile d’aliénés…
Clara Schumann a non seulement marqué son temps en tant que pianiste, mais a laissé un œuvre de femme compositrice, comme on le lit plaisamment aujourd’hui dans les gazettes, qui fut longtemps sous-estimée mais dont on mesure désormais l’envergure, même si l’on peut se désoler qu’elle ait abandonné la composition après la mort de son mari, ou qu’elle ait négligé de publier les partitions qu’elle écrivit par la suite. Il est vrai, nous rappelle Brigitte François-Sappey, que Robert et Clara (unis sous le nom de RaRo) étaient les figures idéales de ce Doppelgänger qui hante le romantisme allemand : chacun des deux fut le double heureux et inspiré de l’autre – loin de de double maléfique qui annonce votre mort si vous le croisez un soir au coin de la rue.
L’enfant merveilleux à son piano
Brigitte François-Sappey ressuscite le Wunderkind que fut Clara, singulière enfant mutique au cours de ses premières années. Elle nous fait voyager dans cette course folle que représente l’ensemble des concerts donnés par l’inépuisable pianiste qui fut aussi, sur le tard, pédagogue : en 1856, à Londres, dans une période de deux mois et demi, elle ne se produit pas moins de vingt fois en public. Elle nous donne les informations indispensables sur les œuvres de Clara compositrice, qui font l’objet d’analyses (toujours claires et accessibles) sous forme d’encadrés : voilà qui devrait donner des idées à bien des directeurs de théâtre et autres organisateurs de saisons musicales. L’empathie entre l’auteur et son sujet est communicatif au point qu’on a très envie d’écouter cette musique dont l’essentiel fut écrit dans un immense élan vers Robert, sans que pour autant leurs deux manières se confondent.
On a souvent comparé Clara Schumann à Leonore/Fidelio qui, dans l’opéra de Beethoven, brave tout pour libérer du cachot son mari Florestan injustement emprisonné. Clara hélas ne réussit pas à sauver Robert de l’asile où il fut enfermé en 1854 après sa tentative de suicide. Et si elle ne fut pas cet Orphée au féminin capable d’arracher son mari à la nuit, elle inspira Brahms et fit connaître et reconnaître la musique de Schumann, qui n’avait rien a priori pour séduire les amateurs de mélodies faciles. Sa tâche, dès lors, était accomplie, et ce livre nous le dit avec enthousiasme.
Brigitte François-Sappey, Clara Schumann, une icône romantique, Le Passeur, 2023, 326 p., 17 €.