Cet Enfant de Joël Pommerat

Les conflits familiaux pour ouvrir le Festival MAR.T.O

Cet Enfant de Joël Pommerat

« Je n’écris pas des pièces, mais des spectacles », explique Joël Pommerat qui se revendique « écrivain de plateau » puisque, pour lui, tout s’y fomente à partir du vif de la scène. Son alchimie personnelle imprègne si singulièrement son théâtre qu’il peut y avoir quelques risques à s’emparer « à cru » de ses mots. C’est ce que fait avec un bel engagement, la compagnie de la Magouille, jeune troupe de marionnettes qui frappe les trois coups du Festival MAR.T.O avec Cet enfant . Une pièce constituée de scènes brèves, inspirées, ou plutôt réinventées à partir d’entretiens effectués dans le cadre d’une enquête initiée par une Caisse d’Allocations familiales dans laquelle les mots sont de véritables grenades dégoupillées qui font voler en éclats la douce et paradisiaque idée de la famille comme cocon protecteur. Tout y est inquiétude, tension, rancune et règlements de compte. Saisissante à cet égard, cette première scène où une jeune femme se réjouit d’attendre un enfant et énumère ce qu’elle fera et ne fera pas pour le rendre heureux. Elle se réjouit car sa venue sera l’occasion de montrer aux autres qu’elle n’est pas ce qu’ils croient, surtout de montrer à sa mère qu’elle est capable de rendre son enfant heureux ce que ça mère n’a pas su faire : « Elle en crèvera de voir que mon enfant est heureux alors que nous avons été malheureux / et elle en crèvera de voir que je suis heureuse et je m’en sors et que je n’ai plus besoin d’elle/ elle en crèvera et alors là, je serais vraiment heureuse/ je serai heureuse/ vraiment heureuse…. »

Playmobils et vidéo

Pour donner à voir la fragilité poignante des personnages en proie à leur angoisse, leur peur, leur besoin d’exister face à l’autre, exprimés à travers conflits et déchirements, Solène Briquet, tout à la fois metteur en scène, interprète et manipulatrice a choisi l’univers du jouet et particulièrement celui des playmobils employés comme allusion à la manière dont les enfants usent d’un jouet, d’un objet, d’une boîte de cubes pour exprimer ce qui les tourmente et en tant que générique pour les personnages, qui deviennent ainsi ceux que nos politiques appellent « les vrais gens ». S’y mêlent la manipulation d’objets et la projection vidéo qui varie l’échelle des personnages et illustre au plus près les rapports parents enfants, le plus fort et le plus faible tandis qu’en direct, un facétieux galopin extirpe de sa contrebasse des sons biens propres à faire entendre les grincements qui président aux rapports familiaux.
Un travail de haute tenue dont la plasticité tient un peu trop l’émotion à distance mais qui a le mérite de bien faire entendre un texte magnifique (1) qui a affaire avec chacun d’entre nous à un endroit ou un autre, en même temps qu’il fait la preuve que la marionnette est un art en constante recherche et en cela trouve sa juste place dans le Festival MAR.T.0
(1) « Cet enfant » est édité chez Acte sud-papiers.

Avec MAR.T.0 la marionnette s’éclate dans six villes

Festival éclaté sur 6 villes des Hauts-de-Seine, MAR.T.O, d’édition en édition permet de vérifier que l’art de la marionnette est en perpétuel mouvement qu’il ne cesse d’explorer la diversité des formes et des manipulations et d’investir les arts frères et notamment la vidéo. Fidèle à ses objectifs, cette 12è édition tricotée à six mains, s’offre sur le fil de la fidélité et de l’émergence. Ainsi en est-il du Théâtre Jean Arp de Clamart qui met à son affiche la jeune troupe de la Magouille avec Cet Enfant de Joël Pommerat (16 au 20 nov).

Au Théâtre de la Piscine de Chatenay Malabry, c’est la fidélité qui marque la programmation avec le Bob Théâtre qui de fou rire en effroi, de mixer en boîte de conserve nous emmène du côté des Carpates (Nosferatu 21 et 22 nov) et la troupe Tro-Hérol de Ricardo Montserrat qui autour de la guerre d’Espagne propose un bouleversant spectacle sur la difficulté de transmettre la mémoire qui mêle danseurs et marionnettes (Mon père, ma guerre 25 nov). Mémoire et transmission aussi, sur une autre mode, mais tout aussi bouleversant avec Hand Storie de Yeung Faï dernier héritier d’une lignée de virtuoses marionnettistes à gaines chinois qui évoque en un subtil et somptueux spectacle son histoire et son apprentissage. Une histoire de mains traversée par les temps douloureux de la révolution culturelle. (2 et 3 déc).

Le Théâtre des Sources à Fontenay-aux- Roses, propose lui, un tendre et déjanté théâtre d’objets agrémenté de manipulations culinaires mijotées par Diego Strirman, ancien médecin argentin devenu clown urbain qui invite les spectateurs à « un buffet spectacle » à consommer en famille (Le Banquet 18 et 19 nov).

A Bagneux, au Théâtre Victor Hugo, le Bouffou Théâtre qui mêle marionnettes et comédiens détourne Hamlet et Shakespeare pour proposer entre fantastique et drôlerie une réflexion « sur le conflit entre être et pouvoir et sur la relation entre la marionnette et son manipulateur ». (Être , peut-être ? 25 nov)

Pour la dernière étape de sa déambulation, MAR.T.O pose la question : « Que se passe-t-il lorsqu’un robot rencontre une marionnette ? » La réponse est donnée au Théâtre 71 de Malakoff, par Amit Drori, metteur en scène designer qui allie la robotique et la marionnette, la danse et la vidéo pour composer une jungle luxuriante. C’est « un rêve d’inventeur et une expérience sensorielle époustouflante » qu’il propose avec Savanna, un paysage possible ( du 29 nov, au 3 déc)

Mais pour ce festival qui allie à la fois le risque et la séduction, l’exigence artistique et la festive convivialité tout commencera au Théâtre Jean Arp de Clamart le 12 novembre avec La nuit de la marionnette . De 20h30 à 6 h du matin une dizaine de troupes envahiront tous les coins du théâtre où, « de petites formes iconoclastes d’un quart d’heure, en spectacles « grand format », se croiseront toutes les formes et les voies qu’emprunte aujourd’hui la marionnette.

Festival MAR.T.O marionnettes et théâtre d’objets pour adultes du 12 novembre au 2 décembre. La Piscine (01 41 87 20 84, Théâtre Victor Hugo 01 46 63 10 54, Théâtre Jean Arp 01 41 90 17 02, Théâtre des Sources 01 41 13 40 80, Théâtre 71 01 55 48 91 00.

A propos de l'auteur
Dominique Darzacq
Dominique Darzacq

Journaliste, critique a collaboré notamment à France Inter, Connaissance des Arts, Le Monde, Révolution, TFI. En free lance a collaboré et collabore à divers revues et publications : notamment, Le Journal du Théâtre, Itinéraire, Théâtre Aujourd’hui....

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