Opéra Nationa de Paris - Palais Garnier - jusqu’au 26 décembre 2007

Alcina de Georg Friedrich Haendel

La magicienne d’Eros passe du technicolor au noir et blanc

Alcina de Georg Friedrich Haendel

Les grèves ont fait tache d’huile. En écho à celles des transports publics, une partie du personnel de l’Opéra National de Paris aligne ses revendications sur le régime des retraites. Après les annulations pures et simples de 20 représentations d’opéras et de ballets, d’autres ont pu survivre grâce à un « service minimum ». Ainsi la deuxième reprise de Alcina de Haendel a pu avoir lieu, en régime minceur côté décors et lumières, mais heureusement complète, côté musique.

Les spectateurs qui n’ont assisté ni à la création de cette production en 1999, ni à sa reprise de 2004 n’auront pas été vraiment frustrés. Les enfilades de murs couleur crème percé de larges portes sont toujours là et continuent de glisser d’une scène à l’autre mais ne s’ouvrent plus sur les visions en trompe l’œil et en technicolor de jardins extraordinaires et de chambres douillettes peuplées d’hommes nus. Exit les chatoiements des lumières de Jean Kalman : à leur place un noir d’encre plonge les ébats amoureux de la magicienne dans une sorte de mystère. Une vision qui trahit forcément le travail de metteur en scène Robert Carsen, mais donne une profondeur inattendue, voire une esquisse pudique à l’un des chefs d’œuvre du très prolifique Haendel qui enfilait les operas seria comme les grains d’un chapelet.

Le baroque jaillit de merveilleux dans l’ile de tous les possibles

Tout comme pour Orlando ou Ariodante, Haendel pêcha le thème d’Alcina dans les eaux du Roland Furieux de l’Arioste. Il en fit en fit un hymne aux vertus de l’amour charnel, une mise en garde à ses égarements. C’est l’érotisme en effet qui est au centre des enchantements que la magicienne Alcina répand pour s’approprier les hommes qui lui plaisent. Le baroque jaillit du merveilleux dans cette île de tous les possibles où les philtres magiques viennent à bout des résistances. Pour Alcina tout homme est un corps dont elle s’enivre de caresses, qu’elle abandonne ensuite, et, pour le garder à sa merci le transforme en objet, en animal ou végétal. Elle gère sans état d’âmes son harem de mâles momifiés jusqu’au jour où elle s’éprend pour de bon, et voilà l’ensorceleuse ensorcelée. Mais l’élu évidemment en aime une autre qui débarque, déguisée en homme, escortée d’un tuteur magicien qui devra sortir le bien-aimé des envoûtements de la Carabosse de l’amour.
Et les quiproquos de s’enchaîner, comme dans Marivaux, avec confusion des sexes et jeux de rôles jusqu’au happy end mélancolique où les vrais amoureux se retrouvent, où les amants statufiés reprennent vie et où la vilaine fée perd ses pouvoirs.

Une direction vif argent où le plaisir du rythme fait pétiller la musique

Après William Christie et ses Arts Florissants et John Nelson avec l’Ensemble Orchestral de Paris, Jean Christophe Spinosi prend la relève à la tête de l’Ensemble Matheus. Une direction vif argent où le plaisir du rythme fait pétiller la musique. Des mains, du menton il danse et chante la partition, s’empare d’un violon au deuxième acte en tire des soupirs joyeux. La distribution d’honnête taille ne fait pas oublier les paillettes des précédentes. Renée Fleming dans le rôle titre de la première mouture n’est toujours pas égalée. Emma Bell peine à se débarrasser des vibratos des premières scènes mais finit par imposer une ligne de chant homogène à laquelle il manque pourtant la souplesse virtuose exigée par les arabesques haendéliennes. La mezzo bulgare Vesselina Kassarova retrouve le Ruggiero qu’elle interprétait en 2004 mais a perdu chemin faisant le satiné de ses graves qui cette fois roulent comme cailloux sur terre sèche. En Morgana coquine, Olga Pasichnyk, soprano venue d’Ukraine, toute de fraîcheur et d’aigus roucoulants, s’affirme comme une délicieuse révélation.

Grève ou pas grève, en couleurs ou noir et blanc, cette Alcina revue par Carsen et mise en tempis par Spinosi reste une fameuse séductrice.

Alcina de Georg Friedrich Haendel d’après Orlando Furioso de l’Arioste. Ensemble Matheus sous la direction de Jean-Christophe Spinosi, chœurs de l’Opéra National de Paris, mise en scène Robert Carsen, décors et costumes Tobias Hoheisel, lumières Jean Kalman. Avec Emma Bell (en alternance avec Inga Kalna du 13 au 26 décembre), Vesselina Kasarova, Olga Pasichnyk, Sonia Prina, Xavier Mas, François Lis, Judith Gauthier.
Opéra National de Paris – Palais Garnier, les 22,25,28 novembre, 1,3,5,9,13,16,19,23,26 décembre à 19h30
08 92 89 90 90 – www.operadeparis.fr

Crédit : Eric Mahoudeau / Opéra national de Paris

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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