À propos de Luisa Miller

Un entretien avec Guy Montavon, qui met en scène un rare opéra de Verdi à Angers, Rennes et Nantes.

À propos de Luisa Miller

À la veille de la première de Luisa Miller, qui aura lieu à Angers, Guy Montavon nous accorde un entretien sur cet opéra de jeunesse de Verdi, injustement méconnu.

Guy Montavon, vous assurez la mise en scène de Luisa Miller, qui sera une découverte pour beaucoup. Pourquoi cette œuvre échappe-t-elle à la notoriété ?
Luisa Miller est un opéra magnifique, qui montre toute la maturité ingénieuse de Verdi, du point de vue de l’orchestration, des rythmes, des harmonies et de la combinaison des chanteurs. Cette œuvre est sous-estimée, et souffre pourtant aisément la comparaison avec Rigoletto ou Otello ! Le fait qu’on ne le monte pas plus souvent tient à deux raisons principales. D’abord, c’est un opéra très exigeant pour les chanteurs, en particulier pour le ténor et la soprano, dont les rôles de bravoure sont des olympiades vocales. Je pense que cette difficulté a dissuadé beaucoup d’interprètes et de maisons d’opéra, parce que Luisa peut être risquée. Regardez, même au disque, on ne trouve pas beaucoup d’enregistrements après les années 1980. L’autre raison selon moi vient du livret, d’après Kabale und Liebe de Schiller, une pièce méconnue au-delà de l’Allemagne. Mais je dis souvent que Luisa Miller, c’est Roméo et Juliette !

Que voulez-vous dire par là ?
Luisa Miller et Roméo et Juliette, ce sont les mêmes tissus dramatiques, la même trame. Deux familles, par la voix des pères, s’opposent frénétiquement au bonheur pourtant évident de leurs enfants, par simple respect des conventions sociales. Et la fin est à chaque fois dramatique : dans les deux cas, les enfants préfèrent mourir que se plier aux exigences familiales. Les pères sont des grincheux, des égoïstes, des jaloux, tournés vers le passé, qui contraignent Juliette et Luisa à leurs propres vues. Il existe un contraste marqué entre ces vieillards dépassés et la soif de vie de ces jeunes gens, Rodolfo et Luisa. Verdi était un compositeur de la jeunesse et de l’avenir, de la découverte, c’est ce qui m’intéresse !

Diriez-vous que ces destins féminins contraints ont des résonances contemporaines, voire féministes ? Pensez-vous que cette histoire puisse être transposée à notre époque ?
Oui, bien sûr, l’amour impossible existe toujours. Pensez à des amoureux à Kiev et à Moscou, ou en Israël et en Palestine… Dans quelles conditions peut-on trouver un bonheur personnel quand la géographie, sociale ou spatiale, est contraignante ? Je n’ai pas voulu plonger cette œuvre, que les spectateurs ne connaissent pas très bien, dans un climat trop actuel pour autant, ni dans un contexte de guerre, ni dans un réseau de revendications de droits des femmes. Il ne faut pas tomber dans le piège et vouloir comprendre cette histoire avec notre regard du XXIe siècle. Comme le disait Riccardo Muti, il faut lire l’opéra avec un point de vue historique. La condition des femmes au XVIIe, au XVIIIe ou au XIXe siècle n’est évidemment pas la même qu’aujourd’hui. L’art a certainement contribué à faire changer la place des femmes et à faire évoluer nos sociétés, c’est une juste direction !

Quelle mise en scène avez-vous choisi de concevoir ? Diriez-vous que vous proposez une lecture moderne de cette œuvre ?
On pourrait discuter longuement de ce qui est moderne. Si c’est l’empilement de machines à laver en guise de décor, alors je n’adhère pas. Mon point de vue est que la mise en scène doit révéler qui sont les personnages, et ce qui, dans le fond, les travaille. Schiller écrit un drame profondément intime et restreint, ce qu’on appellerait en allemand un Kammerspiel. J’avais d’ailleurs un doute concernant la scène, car à la différence du Théâtre d’Erfurt, où nous avons étrenné la production il y a un an et demi, la scène ici est plus petite. Nous jouons dans un théâtre à l’italienne, qui apporte sa touche d’intimité, et qui nourrit le sens. Dans cette pièce, il y a un mélange de déception, de tension où les personnages sont à bout de souffle, avec des élans émotionnels très grands. On souffre avec Luisa et Rodolfo, parce qu’on les voit échouer. Le spectateur, je veux lui faire sentir qui sont les personnages, et pour ça, je ne le lâche pas du début jusqu’à la fin, je l’accompagne, je cherche la cohérence entre les scènes.

Comment se déroulent les répétitions à Angers ?
Après un travail efficace de mon assistant, j’ai commencé par parler deux heures aux chanteurs, afin de leur livrer mes idées et mon point de vue sur l’œuvre. Je tenais à donner un souffle, à expliquer mes choix dramaturgiques, sans quoi l’on tombe vite dans du théâtre de représentation bon marché. Côté musique, l’orchestre est magnifique, dirigé par un chef italien très attaché à la vitalité, à l’italianita de la musique, avec des tempos justes. Notre travail artistique est honnête, il valorise le travail de tout le monde, je suis très content du travail qu’on a fait. Toute l’équipe est très engagée, dans la fosse, sur scène, les équipes techniques. Le fait que Luisa Miller soit un opéra peu connu est une chance, car nous n’avons pas à lutter contre des habitudes qui se seraient installées.

Le plateau vocal est très italien…
Luisa Miller est un opéra porté sur la langue. Le choix de chanteurs italiens permet donc d’être fidèle à cette musicalité, de respecter la gestique, les mimiques et la justesse des mots. Je suis sûr que cela contribue à transférer le message. Sachez en plus qu’à part le baryton [ndlr, Miller interprété par Fedrico Longhi], ce ne sont que des prises de rôle. Deux Françaises complètent le tout [ndlr, Lucie Roche en Federica et Marie-Bénédicte Souquet en Laura]. J’ai donc dirigé les travaux principalement en italien et en français !

Un dernier mot avant la première, à Angers, ce 10 mars ?
J’ai eu grand plaisir à travailler dans cette belle et dynamique ville d’Angers. Nous avons d’ailleurs été en contact avec beaucoup de jeunes, grâce au travail de médiation engagé par Angers-Nantes Opéra, qui est indispensable et très réussi ! Je suis heureux de voir des étudiants, des élèves, des enfants de dix ans s’intéresser à l’opéra. Ce travail de transmission des émotions et du patrimoine culturel ne va pas de soi, mais c’est notre devoir à tous ! Jusqu’à mon dernier souffle, je m’y emploierai.

Propos recueillis le 9 mars 2023.

Photo dr

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Quentin Laurens

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