Ravel par Les Siècles au Théâtre des Champs-Élysées

À l’heure espagnole

Après Rameau et les Viennois, les Siècles consacrent un concert entier à Ravel, celui qui fut amoureux de l’Espagne.

À l'heure espagnole

ON SAIT DÉSORMAIS DE QUOI Les Siècles sont capables : d’aborder Mahler et Rameau, de passer de Berg à Ravel avec le même brio. À vrai dire, on le savait déjà, et de longue date, mais la série de concerts donnée par cette formation dans le cadre de sa résidence au Théâtre des Champs-Élysées nous le confirme de manière éclatante. On ne dira jamais assez combien les interprétations de l’orchestre fondé par François-Xavier Roth, sur instruments d’époque et avec l’apport d’une réflexion sur les conditions d’exécution de la musique, ont éclairé d’une lumière nouvelle, ces dernières années, l’interprétation de la musique.

François-Xavier Roth ayant choisi de ne pas diriger le 22 mai à la suite de la publication d’un article dans Le Canard enchaîné, c’est Adrien Perruchon qui tenait la baguette à l’occasion de ce concert entièrement consacré à Ravel. La veille cependant, à Tourcoing, François-Xavier Roth avait étrenné le programme et permis à son orchestre de l’avoir dans les doigts et sur les lèvres. Tout commence par un Alborada del gracioso d’une transparence lumineuse dès les premières notes. Les timbres sont ici différenciés comme jamais, et le très grand orchestre, sans jamais sonner pesant ou épais, sait faire monter la tension ou exalter la goguenardise du basson quand il le faut. On applaudit le même sens des couleurs et la même précision rythmique dans les quatre parties de la Rapsodie espagnole, avant un Boléro abordé dans un tempo plutôt allant (mais tenu jusqu’à la fin). Page célébrissime, ce Boléro n’est pas ici qu’un long crescendo menant à une modulation éclatante. Chaque intervention instrumentale est particularisée, le saxophone soprano chante le double thème différemment de la flûte, on sent des individus qui aiment à donner de la variété au propos par d’infimes variations de respiration et de phrasé.

La seconde partie de la soirée est entièrement consacrée à L’Heure espagnole, qu’on a pu voir il y a peu à l’Opéra Comique. Pas de mise en scène ici, mais quelques jeux de scène et la faconde des cinq chanteurs, qui connaissent par cœur leur rôle, suffisent à l’illusion. On retrouve Nicolas Cavallier et Benoît Rameau, tout aussi convaincants qu’à la Salle Favart, mais qui peuvent davantage se concentrer sur le chant, on est heureux d’entendre le très juste Loïc Félix, et on est heureux d’entendre dans un rôle comique Thomas Dolié, dont le Ramiro est plus riche de couleurs que Jean-Sébastien Bou (chez qui il est difficile de distinguer le chanteur du comédien, toujours irrésistible). Isabelle Druet, égale à elle-même, nous ravit. Sans avoir dans le timbre le fruit d’une Stéphanie d’Oustrac, elle compose un personnage d’une drôlerie toujours ad hoc, avec la diction impeccable, les accents dans la voix qui font mouche, et un sens du théâtre qu’on dirait inné. Inutile de rappeler qu’on aimerait entendre plus souvent celle qui fut aussi une très belle Cassandre dans Les Troyens, à La Côte-Saint-André et à Cologne, sous la direction de François-Xavier Roth.

Illustration : L’Heure espagnole vue par le journal Musica en 1911 (dr)

Ravel : Alborada del graciosoRapsodie espagnoleBoléroL’Heure espagnole. Isabelle Druet (Conceptión), Benoît Rameau (Gonzalve), Loïc Felix (Torquemada), Thomas Dolié (Ramiro), Nicolas Cavallier (Don Iñigo Gomez). Les Siècles, dir. Adrien Perruchon. Théâtre des Champs-Élysées, 22 mai 2024.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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