Opéra National de Lorraine - Nancy

Wozzeck

La ballade du plus humble d’entre les humbles

Wozzeck

Wozzeck qu’Alban Berg tira de la pièce de Georg Büchner (orthographiée Woyzeck) représente incontestablement l’une des œuvres majeures du patrimoine lyrique du vingtième siècle, si ce n’est la plus représentative de toutes. C’est avec elle que l’Opéra National de Lorraine vient de clore en beauté une saison qui fut riche en émotions et réussites. Elle clôt également la résidence de son directeur musical et chef d’orchestre Sebastien Lang-Lessing qui, en six ans, mit en confiance et fit faire des progrès remarquables à l’Orchestre lyrique et symphonique de Nancy.

A la lecture de la pièce laissée inachevée en 1837 par un poète foudroyé à l’âge de 23 ans, Alban Berg, le Viennois, disciple de Schönberg, retrouva des sensations vécues durant la guerre de 14/18 où il fut enrôlé : misère de la soldatesque, atmosphère étouffante des villes de garnison, errance des corps et des esprits. Il conserva les fragments du texte original, les divisa en quinze scènes qu’il répartit en trois petits actes, et, de ce chef d’œuvre de la littérature théâtrale fit un chef d’œuvre de la musique de son temps.

Pour la première fois la tragédie des plus humbles d’entre les humbles prenaient la place des princes et des héros mythiques. Le destin sans issue du pauvre Woyzeck s’inspirait d’un fait divers qui avait agité la ville de Leipzig quand un soldat à la dérive assassina sa maîtresse. Woyzeck/Wozzeck est ce pauvre sans grade dont les hiérarchies militaire et sociale usent et abusent, barbier soumis de son Capitaine, cobaye consentant du médecin de la ville, père d’un petit garçon né hors mariage, amant de Marie qui ne résiste pas aux avances d’un Tambour-Major roulant des mécaniques, risée de ses camarades...

Poétique, lisible, facile à suivre

Il n’est pas sûr que l’imagerie naïve des décors de Jean-Marc Stehlé serve la rudesse du propos, cette épure abrupte de la fatalité qui mène le deuxième classe Wozzeck au désastre. Comme toujours Stehlé construit ses décors à la manière d’un livre d’images, de chromos simples à feuilleter qui suivent à la lettre les actions et les lieux. Tout y est, pas un détail ne fait défaut : l’appartement en perspective du Capitaine qui se fait se raser en houspillant son barbier d’occasion, l’antre du Médecin opérant quelques expériences sur son animal humain, le terrain vague où l’on devine l’étang funeste, la piste de danse où se déhanchent des couples mal assortis, la maison de Marie qui tourne sur elle-même pour découvrir sa chambre, son lit défait et sa chaise bancale avec un petit air penché qui évoque un célèbre tableau de Van Gogh... Et une lune sanguinolente quand il est écrit et dit qu’elle est rouge...C’est du premier degré poétique, lisible, facile à suivre mais trop joli sans doute pour la descente aux enfers de la solitude et de la folie que sont la pièce de Büchner et l’opéra de Berg. D’où une sensation de panne d’imagination dans la mise en scène de Michel Deutsch, auteur, dramaturge, figure appréciée du théâtre parlé qui s’essaye ici à sa première réalisation lyrique.

Mais son parcours théâtral lui aura au moins enseigné les vertus de la direction d’acteurs qui s’avère en permanence juste, percutante et fouillée. Il est vrai qu’il a eu à sa disposition une distribution de tout premier ordre. A commencer par le bouleversant baryton-basse islandais Tómas Tómasson, athlète à l’âme d’argile qui campe un Wozzeck à fleur de nerfs qui aurait grandi trop vite, une présence et une voix comme on en a rarement vues et entendues.

Marjorie Elinor Dix/Marie coquette et sensuelle avec beaux aigus et une sincérité qui émeut, Wolfgang Ablinger-Sperrhacke en Capitaine hystérique et plastronnant, Andrew Greenan, Docteur aussi coupant qu’un bistouri et Louis Gentile en Tambour-Major au timbre pâle et aux muscles saillants.
Sébastien Lang-Lessing, pour ses adieux à cette formation qui fut sa famille durant une demi-décennie, fit chauffer à blanc tous les pupitres. La musique de Berg semblait sortir des entrailles de la terre, puissante, rageuse, quasi explosive. Aussi désespérée que le destin du pauvre Wozzeck.
Lang-Lessing s’en ira bientôt vers d’autres aventures, en Australie, aux Etats-Unis.... A la rentrée le jeune italien Paolo Olmi lui succédera.

Wozzeck d’Alban Berg d’après Georg Büchner, orchestre symphonique et lyrique de Nancy, chœur de l’Opéra National de Lorraine, direction Sebastien Lang-Lessing, mise en scène Michel Deutsch, décors Jean-Marc Stehlé, costumes Arielle Chanty-Stevenet, avec Tómas Tómasson, Louis Gentile, John Bellemer, Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, Andrew Greenan, Marjorie Elinor Dix, Marie-Thérèse Keller, Christophe Berry - Opéra National de Lorraine à Nancy, les 22,25,27,29 juin & 1er juillet 2006 - 03 83 85 33 11

Crédit photos : Opéra de Nancy

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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