Une saison à Angers Nantes Opéra
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- 25 novembre 2023
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Alain Surrans, la saison 2023-2024 s’est ouverte avec Béatrice et Bénédict, le dernier opéra de Berlioz. Cet opéra méconnu a-t-il rencontré son public ?
Ce fut un vrai succès oui, avec une salle complète les quatre soirs. Cela confirme ce que nous avions perçu avec le projet Molière puis Le Malade imaginaire l’année dernière : le public est de retour après la crise du covid. Je parle en tout cas de notre situation, d’autres n’ont pas encore retrouvé les fréquentations d’avant-épidémie. Je cherche à mettre en valeur des pièces du répertoire parfois plus rares, qui ne manquent pourtant pas de valeur. Ici, les couleurs de Berlioz, cette musique si romantique et pourtant si atypique ont plu, y compris chez les plus jeunes. Je regrette quand même que nous ayons dû nous contenter de quatre levers de rideau, à Nantes.
Pour des raisons budgétaires ?
Oui, malheureusement ! Comme pour la précédente, il a fallu faire des choix importants pour cette saison. Nous avons reporté un projet contemporain (ndlr, Les Ailes du désir d’Othman Louati) de l’automne 2023 à mai 2024… Mais nous avons voulu maintenir cinq représentations pour La Chauve-Souris et Tosca. J’ai travaillé pour 2024 avec les contraintes que j’avais en 2023, même si j’ai bon espoir que la situation se desserre un peu l’année prochaine ; nous avons reçu des signaux en ce sens, notamment de la part d’Angers. Nous ne sommes toutefois pas dans la situation de Rouen, Lyon ou Montpellier, qui ont pris de plein fouet la hausse des dépenses énergétiques, payées en propre. Ces maisons ont dû supprimer des productions, et Montpellier ne donnera que deux opéras cette année.
Vos arbitrages budgétaires ne portent donc pas sur le volet artistique ?
Je tiens à ce que nous maintenions le niveau de la maison, et je ne veux pas toucher à la qualité artistique : je veux des chanteurs de bon niveau, avec un nombre de répétitions minimum. Il n’est pas question d’abaisser nos exigences. Nos metteurs en scène ne partent pas avec des budgets mirobolants et nous les invitons à se servir dans notre jolie collection de costumes. Quant aux chanteurs, toutes les maisons d’opéra sont dans le même bateau, et les cachets ne sont pas donnés, il faut mettre le prix pour garder des prestations de qualité.
Qu’en est-il du soutien de l’État ?
Je crois que nous collons précisément à ce qu’attend le ministère de la Culture, avec peut-être un peu moins de titres présentés, mais davantage de co-productions. Je constate que l’État nous cite souvent comme un exemple à suivre, sans pour autant mettre à jour ses volumes de subventions, depuis 2004… Nous attendons un geste de sa part : il nous faut retrouver des marges artistiques, donner un grand titre chaque année, créer. Le personnel de l’Opéra, le public : tout le monde est demandeur !
Il faut jouer collectif pour monter des opéras aujourd’hui…
Bien sûr ! Pour y parvenir, le choix des titres est déterminant. La collaboration avec Rennes et Nancy a été fructueuse : alors qu’ils jouaient Tosca, nous montions L’Elixir d’amour, et nous inversons cette année. J’ai bouclé les deux prochaines saisons, sous réserve que les budgets soient confirmés, et je suis content d’avoir trouvé des coproducteurs tels que Rennes, le Théâtre des Champs-Élysées, l’Opéra de Lausanne. L’Histoire tend assurément à davantage de coproductions, et nous pourrions le faire encore davantage pour des créations. Je regrette par exemple que L’Annonce faite à Marie de Philippe Leroux n’ait pas été vue ailleurs qu’à Angers, Nantes et Rennes. Il faudrait parfois savoir dépasser les fiertés…
Vous appelez de vos vœux davantage de créations. Est-ce votre attente première en qualité de directeur d’Opéra ?
Depuis une quinzaine d’années, il y a eu beaucoup de très belles créations, je pense notamment aux Trois contes de Gérard Pesson, à L’Inondation de Francesco Filidei, à Innocence de Kaija Saariaho ou encore à Fin de partie de György Kurtág. Nous sommes dans une époque très intéressante dans l’histoire de l’opéra, le genre ne me semble vraiment pas épuisé. Le côté « grand œuvre » impressionne le public, l’opéra est un genre majeur, et il faut jouer le jeu de l’imposant. Les compositeurs d’aujourd’hui ont envie d’envie de faire de l’art total, tout en étant populaire. Nous sommes sur une rampe de lancement ! J’attends donc d’autant plus la prochaine création : c’est là que l’on recueille le plus d’humanité, d’audace et d’émotions. Les créations à l’opéra vous donnent des baffes monumentales, il faut aller dans la salle vivre le spectacle. Cela étant dit, chaque nouvelle approche d’une œuvre du passé conduit aussi à de la recherche et de l’audace, en réinventant les personnages, la lecture, l’image…
Du neuf à partir du vieux : avez-vous un projet en tête pour les saisons à venir ?
Oui, je vous l’annonce, il y aura une Flûte enchantée en 2025, et je serai très attentif, avec mon homologue de Rennes, au choix du metteur en scène. Je ne crois pas qu’il faille un Ehpad ou un abattoir pour réinventer la Flûte. Il faut autant creuser le sens qu’émerveiller. Plus les opéras charrient du sens, plus il faut aller le chercher, transposer des imaginaires d’il y a quelques siècles à notre époque. L’opéra, plus encore que d’autres arts, vit d’audace, d’une volonté d’exploration.
Avant 2025, parlons de 2024 : à quoi s’attendre pour cette nouvelle saison ?
La Chauve-Souris va être formidable : après la frustration de ne la montrer que sur écran pendant le covid, nous sommes enchantés de la montrer aux spectateurs. C’est une histoire qui est très marquée par le théâtre de boulevard français, le vaudeville, le surréalisme : on arrive à une telle absurdité qu’on ne comprend plus rien à l’histoire, on est dans la folie ! Il y aura aussi cette très belle Tosca de Sylvia Paoli. Vous découvrirez le Te Deum avec une peinture en direct, un tableau vivant à la fin du premier acte, sublime ! Le deuxième acte est glacial, à l’image de Scarpia. Quant au troisième acte, il est macabre, avec une fin tragique de Tosca au pistolet, on peut le comprendre…
Est-ce que nous verrons aussi Les Ailes du désir d’Othman Louati ?
Bien sûr : les 6 et 7 mai à Nantes, tandis que l’on jouera Tosca à Angers !
Angers Nantes Opéra s’est porté coproducteur auprès de la co-opérative de cette tournée pour offrir au public l’occasion de découvrir la musique d’Othman Louati, et c’est notre atelier qui en a réalisé tous les costumes. La création, le 9 novembre à Dunkerque, a été chaleureusement saluée par le public et par la presse.
C’est un projet mystérieux, sur une idée d’Othman Louati, avec le pari d’un mariage délicat entre les chanteurs, des personnages de chair et d’os, et les anges qui s’incarnent au fil de l’histoire. On y verra aussi les marionnettes de Johanny Bert, pleines de poésie.
Plusieurs autres événements jalonneront cette année…
Je pense d’abord au Festival du cinéma espagnol, aux Voix du Monde : une douzaine de propositions cette saison, avec nos salles partenaires. Il y a du grand répertoire, mais beaucoup d’audace aussi, de la danse avec le projet de Nina Laisné et François Chaignaud, et de la musique baroque sud-Américaine. Ça va mieux en le chantant marche toujours aussi bien, nous ne ferons qu’une séance à 19h cette année, cela nous permet de mieux rassembler et de remplir les salles.
Soulignons aussi notre présence à Angers, un nouveau bastion où nous voulons développer le public, avec des initiatives d’action culturelle. Nous voulons travailler avec la métropole, et amener l’opéra en-dehors du centre de la ville, comme nous l’avons fait à Nantes.
Et puis, après la grande réussite de l’opéra sur grand écran, nous diffuserons Tosca en direct de Rennes en fin d’année. Et pour 2025, ce sera La Flûte enchantée depuis… Angers. Et puis, permettez-moi de rappeler notre politique d’élargissement pour accueillir dans nos murs de nouveaux publics, moins habitués, plus jeunes, curieux. Cela passe par une politique tarifaire volontaire, qui donne les preuves de son efficacité chaque année, c’est l’une de mes grandes satisfactions.
Avant de conclure, un conseil de lecture peut-être ?
Je lis en ce moment un gros volume de nouvelles de Tchekhov, une idée qui m’est venue d’un petit opéra qui s’appelle Le Violon de Rothschild (ndlr, de Benjamin Fleischmann), adapté d’une nouvelle bouleversante de cet auteur. Et puis, nous réfléchissons en ce moment avec un compositeur dont je tairai le nom, l’adaptation de Le Maître et Marguerite de Boulgakov. L’un et l’autre nous disent beaucoup de choses sur l’humanité, au-delà d’histoires parfois très simples.
Propos recueillis le 20 octobre 2023 au Théâtre Graslin de Nantes