Mariage mafieux, mariage heureux ?

Angers-Nantes Opéra ouvre sa saison avec Béatrice et Bénédict, le dernier opéra de Berlioz, créé en 1862.

Mariage mafieux, mariage heureux ?

Dans cet opéra-comique aux accents mélancoliques, mis en scène ici par Pierre-Emmanuel Rousseau, la musique sauve une intrigue tirée d’une pièce de Shakespeare, Beaucoup de bruit pour rien, sans grande profondeur. Choix du metteur en scène, la Sicile mafieuse des années 1980 sert de décor à cet opéra, qui amuse et émeut quelques fois, sans convaincre toujours.

Beaucoup de bruit pour quoi ? Avant même qu’elle fût révélée au public nantais pour l’ouverture de la saison, ce Béatrice et Bénédict avait fait gloser. Une pièce de Shakespeare, adaptée par Berlioz, dont les dialogues du livret ont été revus et écourtés par Pierre-Emmanuel Rousseau : voilà qui dressait franchement les partisans de l’opéra dans sa forme authentique devant les tenants libérés de l’œuvre aménagée.

Années 1980, soleil et mafia

Sur scène, c’est la Sicile mafieuse des années 1980 qui est montrée. Sur une plage, un plancher à ciel ouvert, traversé de guirlandes lumineuses colorées, accueille successivement le banquet du mariage, la piste de danse et les répétions du maître de chapelle Somarone. En image de fond, un habile jeu de lumière, par Gilles Gentner, reproduit la course du soleil, depuis les agapes de midi jusqu’à la douceur chaude d’une Lune de minuit. Les indices sont multipliés au cours de la première partie : on éventre des baluchons de cocaïne pour en vérifier la qualité, on fait briller les lames, on menace pistolet au poing devant une mallette de billets. Dans la seconde, seule la fête traditionnelle de Sant’Agata et une procession à la vierge rattachent cette Béatrice à la Sicile. La mise en scène emprunte à L’Honneur des Prizzi de John Huston : vestes amples, cheveux gominés et pochettes pour les hommes, robes bigarrées, talons hauts et mises-en-pli colorées pour les femmes. Les tableaux de groupe sont esthétiquement convaincants, grâce à des costumes joliment réalisés.

On cherche la clef de lecture, le trait d’union entre le fond de l’histoire, certes un peu pauvre, et cette mise en scène. À la guerre contre les Maures du XVIe siècle, Pierre-Emmanuel Rousseau préfère les querelles intestines de la mafia fin XXe. Mais cette mise en scène sert trop souvent de décor de fond, et d’arrière-plan aux complaintes des chanteuses et chanteurs, forcés d’user de manières et de gestes superflus, qu’une version de concert leur aurait épargnés. On s’amuse toutefois de scènes bien senties : madison sur la piste, Somarone en curé, dialogues théâtralisés.

Une piste tient la corde : derrière la mafia masculine et intraitable, se trament l’histoire de femmes trop libres pour suivre sans avis leurs maris, trop fortes pour ne pas penser par elles-mêmes. Dans cet opéra aux accents féministes, les femmes font autant l’intrigue que l’émotion.

Un opéra de femmes

Le raffinement de la musique de Berlioz assure à cette soirée une plaisante constance. La direction inspirée de Sascha Goetzel est fidèle à l’esprit de cette pièce, dont on loue la gaieté et les rythmes entraînants. Le choix des tempos surprend parfois : dans l’ouverture, la baguette semble s’alanguir, quand plus tard le chœur tente de rattraper l’orchestre cavalant. Mais le chef viennois montre une grande écoute de la scène et met les pupitres de l’Orchestre national des Pays-de-la-Loire en valeur, en particulier les bois, et obtient de la fosse les couleurs et la vigueur que réclame ce Béatrice et Bénédict.

Côté voix, Marie-Adeline Henry interprète une Béatrice vive, engagée et (trop ?) tempétueuse. La soprano montre une voix puissante appuyée sur des médiums riches et sonores. Elle réussit un « Il m’en souvient » de contrastes et de couleurs. Olivia Doray s’illustre en Héro dès le début du premier acte, dans un « Je vais le voir » exigeant, où les longues phrases laissent place à des vocalises ciselées a capella. On apprécie tout particulièrement son Nocturne avec Ursule, campée par Marie Lenormand, acmé du premier acte. Sur le doux tapis musical des pizzicatos des contrebasses et des traits suaves des bois, les deux voix se croisent subtilement dans ce grand moment d’émotion. Bien que parfois dans la retenue, Marie Lenormand montre beaucoup de sensibilité dans son interprétation d’Ursule. Philippe Talbot se démarque par une franche présence scénique, tout indiquée pour son Bénédict de caractère. Si la ligne et la justesse soutiennent son chant, on s’étonne d’une projection contenue et d’aigus mal émis, signes peut-être de fatigue vocale. La partition laisse aux autres voix masculines une place plus discrète. En Somarone, Lionel Lhote est énergique, drôle et puissant. Le Don Pedro de Frédéric Caton fait autorité, et Marc Scoffoni fait un Claudio efficace.

Le Chœur d’Angers Nantes Opéra livre une prestation complète, tant musicalement que scéniquement. C’est aux choristes et aux costumes qu’ils arborent que l’on doit beaucoup dans la réussite esthétique des scènes de fête et de mariage. On découvre ou redécouvre ce Béatrice et Bénédict, composé par un Berlioz morose, au bout de sa vie. Dans une ambiance sicilienne plaisante mais limitée dans son apport dramatique, la musique se démarque par son raffinement.

Berlioz : Béatrice et Bénédict. Mise en scène, scénographie et costumes : Pierre-Emmanuel Rousseau. Lumières : Gilles Gentner. Avec : Marie-Adeline Henry, soprano (Béatrice) ; Philippe Talbot, ténor (Bénédict) ; Olivia Doray, soprano (Héro) ; Marc Scoffoni, baryton (Claudio) ; Marie Lenormand, mezzo-soprano (Ursule) ; Frédéric Caton, basse (Don Pedro) ; Lionel Lhote, basse (Somarone). Chœur d’Angers Nantes Opéra (chef de chœur : Xavier Ribes). Orchestre national des Pays de la Loire, dir. Sascha Goetzel. Nantes, Théâtre Graslin, 13 octobre 2023.

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Quentin Laurens

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