Un orchestre en feu, un chœur éteint
Valery Gergiev dirige l’Orchestre et le Chœur du Théâtre Mariinsky dans un programme Stravinsky.
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- 12 mars 2012
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On ne dira jamais assez combien la disposition des musiciens influe sur les couleurs et les équilibres sonores que donne un orchestre à une partition. Nous en avons eu le jeudi 8 mars, au Théâtre des Champs-Élysées, une nouvelle illustration, à l’occasion du concert donné par l’Orchestre du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg dirigé par son directeur musical Valery Gergiev (ce concert était précédé d’une première soirée, le 7 mars, également consacrée à Stravinsky, à laquelle nous n’avons pas assisté). Dans une partition aussi incandescente que Pétrouchka, où tous les pupitres sont sollicités, où les détails fourmillent, où les blocs sonores se télescopent et alternent avec les instants les plus évanescents, le jeu des pleins et des déliés devient une qualité essentielle de l’interprétation. Et c’est à une magnifique leçon de relief que nous avons assisté, grâce notamment à ce choix qu’avait fait Gergiev de situer les violons 1 et les violons 2 à sa gauche et à sa droite, face à face, de manière à les faire dialoguer. Détail qui n’en est pas un et qui donne toute sa respiration à la musique. La douceur enveloppante de la flûte, les stridences de la clarinette, le souffle rauque du contrebasson, la frénésie des claviers, le gras des contrebasses n’ont ensuite qu’à ajouter couleur et matière, et la magie sonore joue à plein.
C’est également ce souci de faire de l’ensemble des musiciens un corps nerveux et musclé qui a poussé Gergiev, dans le Capriccio pour piano et orchestre qui suivait, à mettre le soliste (Boris Berezovsky) le dos à l’orchestre, sans que les spectateurs puissent voir ses mains. Car il ne s’agit pas là d’un concerto mais bien d’un capriccio, une page de musique de chambre élargie et turbulente où certains ont raison de voir cent fois plus de fantaisie que dans toutes les œuvres concertantes d’un Poulenc.
Changement de décor après l’entr’acte à la faveur de la Symphonie de psaumes, œuvre d’une vingtaine d’années postérieure à Pétrouchka. On retrouve là les couleurs mordantes de l’orchestre de Gergiev, dont les cordes sont réduites ici aux seuls violoncelles et contrebasses, et la dynamique que sait insuffler le chef à ses instrumentistes. Oui mais il y a un chœur, celui également du Mariinsky, et bizarrement on l’entend à peine. Choix délibéré, de manière à faire chanter les voix comme un rêve ? Peut-être. Mais un chœur ne peut sonner, même dans les lointains, que s’il est rond, homogène, présent. Or, incompréhensiblement, celui du Mariinsky, quand il intervient à découvert, sonne malingre et peu assuré. La comparaison avec le splendide Monteverdi Choir, entendu le 24 octobre dernier dans la même œuvre (voir notre article) est cruelle pour les voix de Saint-Pétersbourg. Pourquoi diable cet Alleluia désincarné, pourquoi cette coda sublime et ralentie sans un chœur qui lui donne toute sa lumière ?
photo : Valery Gergiev (dr)
Stravinsky : Pétrouchka, Capriccio pour piano et orchestre, Symphonie de psaumes. Boris Berezovsky, piano ; Orchestre et Chœur du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg. Théâtre des Champs-Élysées, 8 mars 2012.