Opéra National de Paris - Palais Garnier - jusqu’au 24 mars 2008

The Rake’s Progress d’Igor Stravinsky

Un débauché sous les néons des music halls

The Rake's Progress d'Igor Stravinsky

Un lit emblématique traverse de bout en bout la vision du metteur en scène Olivier Py du chef d’œuvre tardif et atypique qu’Igor Stravinsky composa à l’âge de 68 ans. Dès la première image il accueille les ébats de Tom Rakewell et d’Anne Trulove, sa fiancée, scellant une relation qui ne se contente plus de simple de promesses. La pure Anne s’en trouvera enceinte et un enfant naîtra de leur fugace union : pure invention et jolie trouvaille du metteur en scène qui place délibérément les tribulations du débauché Tom Rakewell sous le double signe de la sexualité et de la rédemption par l’amour.

C’est la première fois qu’Olivier Py, l’actuel directeur de l’Odéon, poète, auteur, acteur et metteur en scène, signe une réalisation pour l’Opéra National de Paris, mais ce n’est pas, et de loin, sa première approche du répertoire lyrique. A Tour, Nantes, Edimbourg, Genève et jusqu’à Moscou, il y a longtemps déjà qu’il a pris le pli de tutoyer, si on peut, le théâtre en musique. Son engagement inopiné à l’Opéra de Paris – il y remplace Luc Bondy contraint d’abandonner le projet pour raisons de santé – coïncide avec le retour de ce Stravinsky de jazz et de multiples références musicales après plus d’un demi siècle d’absence. C’est à la salle Favart qu’il fut créé en 1953, deux ans après sa première mondiale à la Fenice de Venise où le rôle d’Anne était défendu par Elisabeth Schwarzkopf. Le Théâtre des Champs Elysées s’en fit récemment le relais parisien dans une superbe production d’André Engel et Nicky Rieti (voir webthea du 9 novembre 2007).

Laura Claycomb (Anne Trulove) Toby Spence (Tom Rakewell)

Entre Moulin Rouge et Foire du Trône

Olivier Py balance son Rake’s Progress sous les feux des néons du musical. Des tubulures noires forment des échafaudages mobiles qui se transportent d’un lieu à l’autre, de la chambre d’amour à celle du bordel de Mother Goose qui a des allures de Mrs Knife, le personnage de travesti inventé et joué par Olivier Py dans ses numéros de chanteur de cabaret. La foire où s’exhibe Baba la Turque avec son nain, ses clowns, ses jongleurs et acrobates, la salle des ventes de la liquidation des dernières richesses, la machine à transformer les pierres en pains, le cimetière, l’asile, tout défile dans ce mouvement perpétuel en noir et blanc et débauche de néons clignotant tous azimut. Entre Moulin Rouge, ses girls emplumées et ses boys bodybuildés, et Foire du Trône avec monstres divers, on bouge beaucoup, on danse, on copule par devant par derrière… Le chemin de débauche piloté par l’émissaire du diable qu’est Nick Shadow trace son infernale spirale à coups de symboles, un sablier, un crâne, un drapeau rouge et le poing levé des ouvriers en colère : le temps, la mort, la lutte des classes et la bataille éternelle du bien contre le mal.

Un melting-pot de références et d’autocitations

A trop vouloir montrer et démontrer, Olivier Py enlise la fable drolatique dans un sérieux qui ne lui va pas, à trop s’appesantir sur la métaphysique de la foi, il lui fait perdre la vertu essentielle de l’humour. Stravinsky, presque septuagénaire, a manifestement pris plaisir aux gravures de William Hogarth traçant le destin de cette « Carrière d’un débauché », et le poète Wystan Hugh Auden qui en tira le livret en allégea d’ailleurs la noirceur, l’âme de Rakewell y devient plus naïve que perverse, des épisodes plutôt loufoques comme celui de la machine à transformer les cailloux en pains, sont inventés de toutes pièces. Surréalisme, onirisme et bon vieux « nonsense » anglo-saxon s’y donnent rendez-vous. La preuve de cet engouement ludique se retrouve surtout dans la musique qui se fond dans un melting-pot de références et même d’autocitations.

L’exceptionnelle performance de Toby Spence

Laura Claycomb (Anne Trulove)

La direction du jeune chef anglais Edward Gardner, 34 ans, est en revanche bien plus proche de l’esprit Stravinsky que des visions d’Olivier Py. Fraîche, rythmée, enjouée souvent, elle ressuscite à bon escient les ambiances dansées, jazzy et syncopées qui en nourrissent l’esprit et la lettre. Laura Claycomb qui chantait Anne Trulove, il y a une quinzaine d’années déjà dans la production demeurée historique décorée par le peintre anglais David Hockney, reste un miracle de jeunesse, de beauté et de justesse. Laurent Naouri, solide, égal à lui-même, endosse pour la première fois, en voix et en meneur de jeu les défroques méphistophéliques de Nick Shadow, la mezzo Jane Henschel compose une Baba à barbe réjouissante, la meilleure part de la soirée venant de l’exceptionnelle performance du ténor anglais Toby Spence pour lequel ce Tom Rakewell constitue une prise de rôle. Magnifique de finesse, de clarté.

The Rake’s Progress d’Igor Stravinsky, livret de Wystan Hugh Auden et Chester Kallman d’après les peintures de William Hogarth. Orchestre et Chœur de l’Opéra National de Paris, direction Edward Gardner, mise en scène et lumières Olivier Py, décors et costumes Pierre-André Weitz. Avec Toby Spence, Laura Claycomb, Laurent Naouri, Jane Henschel, Hilary Summers, René Schirrer, Ales Briscein, Ugo Rabec.
Opéra National de Paris – Palais Garnier, les 3,5,811,14,19,22,24 mars à 19h30, le 16 à 14h30
08 92 89 90 90 – www.operadeparis.fr

Crédit : F. Ferville/ Opéra national de Paris

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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1 Message

  • The Rake’s Progress d’Igor Stravinsky 4 février 2011 13:03, par Laura Claycomb

    Bonjour - Vous avez ecrit que j’ai fait The Rake’s Progress il y a plus de 15 ans dans la production de Hockney. J’ai debuté ce rôle en 2007 à Bruxelles dans la production de Robert LePage. Je n’ai jamais chanté Anne Trulove en scène avant cette date. (En concert en 2000 avec Hickox au Barbican, oui, mais jamais en scène avant 2007.)

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