Opéra National de Montpellier

Salomé (de Strauss) et Salomé (de Mariotte)

Deux Salomé en miroir, en rouge et en noir

Salomé (de Strauss) et Salomé (de Mariotte)

L’Opéra National de Montpellier a eu l’alléchante idée d’assembler deux versions d’opéras tirées de Salomé, la pièce qu’Oscar Wilde écrivit en français et qu’il destinait à Sarah Bernhardt, l’histoire érotique et barbare de la fille d’Hérodias qui accepte de danser pour son beau-père, le tétrarque Hérode, la danse des sept voiles et qui exige en récompense la tête de Jochanaan, le prophète qui lui a refusé un baiser. Il y a la célèbre Salomé mise en musique par Richard Strauss dont les spirales sensuelles sont dans toutes les oreilles, mais aussi une autre, tombée dans l’oubli, une Salomé d’Antoine Mariotte, un contemporain de Strauss. Confrontation - révélation : on découvre avec une sorte de stupéfaction l’éblouissante richesse de la partition de l’Avignonnais Mariotte qui fut marin au long cours avant de se consacrer à part entière à la musique.

Une Salomé qui fit scandale

Une sombre histoire de droits explique l’origine de la mise à l’écart du compositeur français. Celui-ci avait demandé les droits d’adaptation aux ayants droit de Wilde et les avait obtenus. A la même époque, Fürstner, l’éditeur de Richard Strauss, fit la même démarche. Un procès opposa les deux demandeurs qui fut gagné par l’Allemand. La Salomé de Strauss fut créée en 1905 et fit scandale, celle de Mariotte, d’abord interdite, finit par voir le jour trois ans plus tard grâce à une intervention de Romain Rolland. Deux autres ultimes représentations eurent lieu en 1910 à la Gaîté Lyrique de Paris. Puis le couvercle se referma sur ce joli chef d’œuvre jusqu’à ce que René Koering, grand fouineur de partitions oubliées le fit redécouvrir en version de concert lors de son festival Radio France à Montpellier. Pour qu’enfin on puisse aujourd’hui le voir et l’entendre dans son intégralité dans toute sa splendeur.

Un compte à régler avec la dynastie straussienne

Les deux Salomé ont été confiées à un seul metteur en scène : Carlos Wagner, né au Vénézuela de parents allemands (mais sans lien de parenté avec celui de Bayreuth) et qui semble manifestement avoir un compte à régler avec la dynastie straussienne. Un décor unique sert de toile de fond aux deux productions, simple et stylisé avec une volée de marches en pente rapide menant aux appartements royaux d’Hérode, un pan de mur incliné où claquent les volets de fenêtres surprise, une lune ovale suspendue par-dessus un mur et le puits où est enfermé Jochanaan le prophète, transformé en puits de mine de charbon. Pour Richard Strauss, Carlos Wagner joue la carte du cauchemar, du grotesque, du trash, du hard...

Un Hérode débraillé et lubrique

Un festival de mauvais goût où les soldats sont transformés en bouchers découpant des carcasses de viandes, où Narraboth, le jeune Syrien amoureux de Salomé est déguisé en groom de grand hôtel et se fait tuer par le page d’Hérodias (alors qu’il est censé se suicider), où Hérode affublé d’un masque de carnaval gesticule en string écarlate sous un manteau de peau de bête, où les Nazaréens, c’est à dire les Juifs de la garde du Tétrarque, promènent leur dos bossu sous des faciès de caricature, se masturbent durant la danse des sept voiles puis distribuent des billets de banque à la princesse... L’outrance est telle qu’on a envie de crier « pouce ». La barbarie est dans le texte et dans la musique. Inutile d’en rajouter. La démonstration fait figure de pléonasme. Et rend caduque quelques trouvailles comme l’apparition de Jochanaan hissé par un treuil ou encore Salomé baignant amoureusement la tête qui vient de lui être apportée.
L’orchestre au grand complet lance les pulsions straussiennes avec une vigueur tonitruante qui, ici et là, couvre les voix. Celle de James Rutherford/Jochanaan en devient presque inaudible, le ténor Gerhard Siegel lui tient tête avec une belle musicalité en Hérode débraillé et lubrique, tout comme la charmante Manuela Uhl, Salomé enfantine, soprano aux aigus à la fois aériens et robustes.

Le désenchantement d’un destin fatal

Après cette Salomé rouge sang, voici en noir de deuil la Salomé d’Antoine Mariotte. Le décor est le même et les costumes ont simplement changé de couleur (à l’exception d’Hérode, l’excellent Scott Wilde, qui a troqué le mini-slip contre un pantalon de cuir). Mais le traitement du drame est radicalement différent. A la bestialité succède le désenchantement d’un destin fatal. Etrange effet de transposition : c’est en voyant, en entendant ce deuxième volet que le premier prend du sens. Rejet prémonitoire de la barbarie nazie ? Sans doute... Mais la situer en 1905, c’est mettre la charrue bien avant les bœufs... Or cette fois, c’est de Mariotte qu’il s’agit, d’une musique où se retrouve la quintessence des courants français de ce temps-là, Debussy surtout mais aussi Massenet et Chausson (et Wagner en toile de fond inévitable). La violence reste présente mais elle s’habille d’une forme de politesse ou d’élégance, c’est selon. Ici le metteur en scène distille une compassion qui va jusqu’à frôler la tendresse.

Kate Aldrich : une perle rare, un nom à retenir

Les images choc ont pris de la patine ou encore s’effacent derrière des tableaux inédits comme celui de cette pluie dorée qui tombe des cintres et qui fait danser les parapluies noirs des Nazaréens du chœur. Friedemann Layer, toujours à la tête de l’Orchestre National de Montpellier fait jaillir sans débordements toutes les couleurs de la partition. La basse Scott Wilde donne plus de corps et moins de débraillé à Hérode, Jean-Luc Chaignaud fait entendre un Jochanaan sans sécheresse. On retrouve la présence inquiétante de Julia Juon, Hérodias grandiose et hystérique, Marcel Reijans en Naraboth éperdu d’amour et Delphine Galou qui reprend le rôle du page. Mais surtout on découvre une perle rare, un nom à retenir, la mezzo soprano américaine Kate Aldrich, actrice hors pair, danseuse voluptueuse, beauté du diable, timbre d’or et de feu... Qui sait tout faire et le fait bien. Même la roue... Sur une scène d’opéra, on n’avait jamais vu ça !

Salomé de Richard Strauss, drame musical en un acte d’après la pièce de Oscar Wilde, traduction allemande de Hedwig Lachmann, orchestre national de Montpellier, direction Friedemann Layer, mise en scène Carlos Wagner, décors et costumes Conor Murphy, chorégraphie Ana Garcia, avec Manuela Uhl, Gerhard Siegel, Julia Juon, James Rutherford, Marcel Reijans, Delphine Galou... Opéra Berlioz/Le Corum à Montpellier, les 27 novembre, 1er et 3 décembre.

Salomé d’Antoine Mariotte, tragédie lyrique, livret d’Oscar Wilde, orchestre national de Montpellier, direction Friedemann Layer, mise en scène Carlos Wagner, décors et costumes Conor Murphy, chorégraphie Ana Garcia, avec Kate Aldrich, Scott Wilde, Julia Juon, Jean-Luc Chaignaud, Marcel Reijans, Delphine Galou... Opéra Berlioz/Le Corum à Montpellier, les 29 novembre et 4 décembre.

Crédit photo : Marc Ginot / Opéra National de Montpellier

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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