Bruxelles - Théâtre Royal de La Monnaie - jusqu’au 21 décembre 2008

Rusalka de Antonin Dvorak

Métamorphose d’une histoire d’eau

Rusalka de Antonin Dvorak

Des ondes au trottoir, c’est la singulière métamorphose d’une histoire d’eau que vient de subir à La Monnaie de Bruxelles, Rusalka, l’avant dernier des onze opéras de Antonin Dvorak (1841-1904). Oeuvre vénérée dans la Tchéquie natale de l’auteur de La Symphonie du Nouveau Monde, créée en 1901 à Prague, elle est rarement représentée au-delà de ses frontières. L’Opéra de Paris avait attendu l’an 2002 pour l’inscrire à son répertoire dans une production de fine poésie signée Robert Carsen où brillait dans le rôle titre l’étoile Renée Fleming. A sa reprise en 2005 (voir webthea du 19 septembre 2005), on découvrait la spontanéité et le naturel de la toute jeune Olga Guryakova. Trois ans plus tard on la retrouve à Bruxelles dans le même personnage, mi-nymphe, mi-femme flottant cette fois dans des eaux radicalement différentes.

Rusalka n’avait jamais été montée à La Monnaie, la maison d’opéra de la double capitale belge et européenne. Peter de Caluwe son directeur a voulu en révéler la fable et l’offrir à son public en guise de cadeau de Noël. Les amateurs de dépaysement ne seront pas déçus.

Une toute autre idée du conte lyrique de Dvorak

On est loin de la douceur tragique des visions en miroir de Carsen. Le Norvégien Stefan Herheim, son nouveau metteur en scène est encore inconnu en France mais a déjà beaucoup fait parler de lui notamment à Salzburg avec un Enlèvement au Sérail qui fut vilipendé puis à Bayreuth, l’été dernier, avec un Parsifal unanimement acclamé. L’homme aime déranger, il allait forcément avoir une toute autre idée du conte lyrique dont Dvorak emprunta thème et personnages à la fois chez Andersen et sa Petite Sirène et chez Friedrich de La Motte-Fouqué et son Undine.

Nul ne peut sortir de sa condition

Il était une fois une sirène vivant heureuse au fond des eaux de son palais lacustre jusqu’au jour où, sur un coup de foudre pour un prince humain, elle décide de devenir femme. La métamorphose lui est accordée au prix du sacrifice de la parole : elle deviendra muette, et, si l’élu de son cœur devait se désintéresser d’elle, sa reconquête le condamnera à mourir dans ses bras. Et elle, désormais, ni nymphe, ni femme devra errer sans fin entre deux mondes. La morale, on l’aura compris est simple : nul ne peut sortir de sa condition. Et c’est sur ce principe élémentaire que Stefan Herheim décide de transposer la féerie au ras des trottoirs : Rusalka n’est plus une nymphe égarée chez les humains, mais une prostituée perdue dans le monde des bonnes convenances.

Un décor qui en met plein les mirettes

Si l’idée est sommaire, sa réalisation fourmille de trouvailles et d’ingéniosité dans les décors, les costumes, les éclairages et les effets spéciaux d’une vidéo qui fait plonger l’action dans un océan démonté. L’eau reste omniprésente : un lever de rideau sans musique mais non sans bruitage précède l’ouverture : plitch, platch, une pluie diluvienne s’abat sur un coin de rue si réel qu’on croit s’y trouver pour de bon, des klaxons font pouët pouët, des sirènes hurlent, des personnages pittoresques traversent l’espace en boucle. Le réalisme du décor de Heike Scheele vous en met plein les mirettes : façades glauques percées de fenêtres, bouche de métro taguée, église à rosace tournante, bar à enseigne multiple, sex-shop avec poupées gonflables qui, un acte plus loin devient boucherie puis boutique de prêt à porter pour mariées. Les idées fusent, on passe d’étonnement en émerveillements, les fiançailles du prince deviennent carnaval sur scène et dans la salle où les spectateurs sont arrosés de confettis écarlates.

A en faire trop Herheim brouille le fil de l’intrique

Le prince est devenu marin en goguette, Vodnik l’Esprit du lac est transformé en souteneur sur le retour, Jezibaba, la sorcière glisse de l’état de clocharde à celui de fleuriste maquerelle, les trois nymphes sont des putes à tout faire et le chœur des ondines devient religieuses en cornettes ou pensionnaires de bordel. L’onirisme ne perd pas ses droits dans ce déluge de réalisme : une sorte de colonne Morris sort de la chaussée et reconstitue le paradis aquatique que Rusalka a perdu. Herheim manie l’impertinence et la provocation avec autant d’humour que de cohérence. Quitte à se laisser déborder par son imagination et par les moyens mis à sa disposition. A en faire trop dans l’épate il brouille le fil de l’intrigue. Ses débordements heureusement restent de bout en bout en accord avec la musique, sa formation de violoncelliste lui procurant sans doute de sérieux appuis.

Chaque personnage savoureusement campé

Le chef hongrois Adam Fischer dynamise l’excellent orchestre de La Monnaie jusqu’à le faire exploser de lyrisme et parfois couvrir les voix. Willard White, en Vodnic baba cool possessif et sentimental n’en souffre guère même si son timbre de baryton basse a légèrement perdu de sa rondeur, la mezzo allemande Doris Soffel, sorcière SDF ou entremetteuse battante, a tout pour plaire, une projection impeccable et un jeu décoiffant, le prince-marin de Burkhard Fritz a de la voix mais peu de charme. Chaque personnage est savoureusement campé jusqu’à l’éphémère rôle de boucher délicieusement interprété par André Grégoire, un fidèle pensionnaire de La Monnaie. Quant à Olga Guryakova qui connaît bien sa Rusalka, elle assume avec grâce sa nouvelle identité de fille des rues, même s’il lui arrive de forcer jusqu’au cri certains de ses aigus.

Rusalka, conte lyrique en trois actes de Antonin Dvorak, livret de Jaroslav Kvapil, orchestre symphonique et chœur de La Monnaie, direction Adam Fischer, mise en scène Stefan Herheim, décors Heike Scheele, costumes Gesine Völlm, lumières Wolfgang Göbbel, vidéo fettFilm Berlin. Avec Olga Guryakova (en alternance avec Michaela Kaune), Burkhard Fritz (en alternance avec Luvovit Ludha), Stephanie Friede (en alternance avec Anda-Louise Bogza, Willard White (en alternance avec Frode Olsen), Doris Soffel (en alternance avec Livia Budai), Julian Hubbard, Olesya Golovneva, YoungHee Kim, Nona Javakhidze, André Grégoire, Marc Coulon

Bruxelles, La Monnaie, les 5,9,10,11,13,16,17,19,20 décembre à 19h, les 7,14 & 21 à 15h

+32 (0)70 233 939 - www.lamonnaie.be

Photos : (c) Forster

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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