Paris - La Péniche Opéra - jusqu’au 14 avril 2008
Outsider de Alexandros Markeas, livret de May Bouhada
Elia Kazan- Jules Dassin - fin du rêve américain ?
- Publié par
- 7 avril 2008
- Critiques
- Opéra & Classique
- 0
La Péniche Opéra, lieu insolite de théâtre lyrique et musical fête son 25ème anniversaire et s’offre pour l’occasion le luxe d’une création mondiale. Outsider, objet musical métissé d’Alexandre Markeas, compositeur de 42 ans, né à Athènes et travaillant en France et de May Bouhada, 35 ans, comédienne et écrivain, pour le livret. L’œuvre est sous-titrée « opéra transatlantique d’après les chemins croisés d’Elia Kazan et Jules Dassin ». Hommage au cinéma, rêves et désenchantements d’une certaine Amérique, traîtrise sentimentale et traîtrise idéologique, autant de thèmes qui s’entrecroisent dans un parcours en deux temps qui nous promène de New York à Athènes et d’une péniche à l’autre.
Une jeune chanteuse grecque quitte un vieil ami pour tenter sa chance en Amérique auprès d’un cousin compositeur qui vit à New York et qui travaille sur un opéra autour de l’œuvre du cinéaste Elia Kazan. Auteur de quelques incontournables chefs d’œuvres - Un Tramway nommé Désir, Via Zapata, A l’Est d’Eden, Sur les quais, et, emblématique entre tous, America, America qui raconte les tribulations d’un jeune émigré grec dans l’éblouissement du Nouveau Monde - il fut également l’auteur, moins glorieux, de délations au temps de la chasse aux sorcières du Maccarthysme. Or le vieil ami d’Athènes s’appelle justement Jules Dassin, cinéaste français établi aux Etats Unis qui, contraint à l’exil qui le mena en Grèce, fut l’une des victimes des dénonciations de Kazan…
L’Amérique des rêves de réussite et des trahisons
Le hasard – mais est ce vraiment le hasard ? – donne parfois d’étranges reliefs à l’imagination des hommes. Le soir de la première de cet Outsider si bien nommé, le lundi 31 mars, on apprenait la mort de Jules Dassin… Quelques jours plus tard, on commémorait le 40ème anniversaire de l’assassinat de Martin Luther King, prix Nobel de la paix, chantre de la non violence et du droit à l’égalité des hommes quelle que soit la couleur de leur peau. Deux dates sur un calendrier pour rappeler que l’Amérique des rêves de réussite fut aussi celle des trahisons et celle d’une nation qui, jusque dans les années soixante du 20ème siècle refusait aux noirs le droite de vote et leur interdisait de fréquenter les mêmes écoles et les mêmes moyens de transports que les blancs.
Il n’est pas sûr que Alexandros Markeas, sa librettiste ou même Mireille Larroche qui signe une mise en scène enlevée et inventive dans les espaces de ses péniches, aient pensé à ces coïncidences-là, mais le fait de s’en souvenir dans l’actualité de notre temps ajoute un goût particulier au désenchantement de l’héroïne, partie sa valise à la main et la tête farcie d’illusions, prête à affronter le Nouveau Monde et à se mesurer à l’épouse de son cousin, chanteuse comme elle mais dans le pur esprit hollywoodien. « Quand tu es étranger, étranger est le mot que tu veux effacer »…
Plaisir et réflexion sont au rendez-vous
Si le livret, engagé, souvent poétique, manque de clarté dans sa construction, la musique en revanche fait faire un tour de piste ordonné à travers les tonalités, atonalités, jazz et airs populaires du temps présent. Plaisir et réflexion sont au rendez-vous notamment par la configuration matérielle de ces péniches où les acteurs/chanteurs/musiciens, placés à portée de bras des spectateurs créent une relation de proximité, voire de complicité qui n’existe nulle part ailleurs.
A New York, première partie de l’opéra, les musiciens de l’Ensemble 2e2m –piano, violoncelle, saxo, contrebasse, jouent à la pointe de la salle, en bout de scène, dans la taverne d’Athènes, ils ne sont plus que deux au piano, à l’accordéon et à la guitare. Après les recherches musicales du compositeur en quête d’inspiration, les chants puisés dans la tradition des tavernes que Dassin justement a su si bien porter à l’écran… Des images vidéos scandent le parcours des hommes de cinéma, Vincent Bouchot, présence étrange et timbre de baryton debussyste, campe un musicien émigré aux prises avec ses interrogations, Bernard Deletré se délecte en Dassin revanchard, Marie Gautrot hérite des soubresauts et aigus en spirales de l’Américaine made in glamour, tandis que Maja Pavloska, apporte grâce et jus du terroir au personnage de la candidate au rêve américain.
Outsider de Alexandros Markeas, livret de May Bouhada, ensemble 2e2m, direction Pierre Roulllier, mise en scène et scénographie Mireille Larroche. Avec Vincent Bouchot, Maja Pavloska, Marie Gautrot, Bernard Deletré.
La Péniche Opéra, quai de Loire, Paris 19° - les 31 mars, 4,5,7,11 et 14 avril –
01 53 35 07 77
Crédit photo : Agathe Poupeney - photoscene.fr