Murs d’Abdelwaheb Sefsaf et Jérôme Richer
La haine des frontières
On comprend que la Compagnie Nomade in France et Abdelwaheb Sefsaf s’en prennent, dans leur nouveau spectacle, aux Murs et à l’idée de mur séparateur : leur théâtre est sans frontières, à cheval entre plusieurs disciplines, musical, amateur d’un peu de vidéo, servi par un jeu qui frôle la danse et le slam ; il ne conte pas d’histoire mais cerne un thème en ronds concentriques avec la volupté du conteur oriental. Le plateau est une scène pour concert, avec ce volumineux matériel des musiciens modernes, mais des images surgissent derrière les interprètes qui chantent, parlent, avec ou sans la puissance furieuse des micros, changent leur garde-robe pour se transformer avec des gestes simples et légers. Leur course haletante s’offre des haltes vagabondes mais n’en tient pas moins sa ligne, son rythme et la passion qui brûle chacun d’entre eux.
Le thème du mur est central. Muraille de Chine, feu le mur de Berlin, mur qui coupe Jérusalem, murs construits contre les migrants en Hongrie et en France… Ils défilent, symboles de nos peurs pitoyables. Mais, encore une fois, la liberté inspire les auteurs, Abdelwaheb Sefsaf et Jérôme Richer, qui font éclater les barrières. Ils vont jusqu’à chanter en allemand, ils saluent un juste oublié de la Seconde Guerre mondiale et terminent par un chant juif également oublié et bouleversant. Leur chanson pour les migrants, « Il faut partir ou bien mourir », devrait s’échapper du spectacle pour passer sur nos ondes : c’est le message dont nous avons besoin aujourd’hui.
La troupe, basée à Saint-Etienne, qui est un peu moins nombreuse que pour le précédent spectacle Médina Mérika (une grande réussite, qui a beaucoup tourné, entre Avignon et la Maison des métallos), a une belle présence fiévreuse. C’est le mélange de gens de théâtre et du groupe musical Aligator. Marion Guerrero est une personnalité aux riches vibratos dramatiques et rythmiques. Toma Roche, long personnage dégingandé, puise à loisir dans sa palette d’humour et d’implication, de distance et de conviction. Abdelwaheb Sefsaf est une sorte tribun doux, de sage exalté : c’est à lui seul un spectacle vif et attachant qu’un auteur qui s’exprime lui-même par ses textes et ses musiques. Georges Baux et Nestor assurent sans relâche les pulsations orchestrales. Tous jouent ensemble et chacun passe le relai à l’autre, dans un beau brasero des mots, des notes et du jeu.
Murs d’Abdelwaheb Sefsaf et Jérôme Richer, mise en scène d’Abdelwaheb Sefsaf , collaboration à la mise en scène et dramaturgie de Marion Guerrero, assistanat de Nine D’Urso, composition et direction musicale d’Aligator (George Baux/Abdelwaheb Sefsaf), son de Tom Vlahovic, lumières et vidéo d’Alexandre Juzdzewski avec Marion Guerrero, Abdelwaheb Sefsaf, Toma Roche, Georges Baux (guitares, piano), Nestor (Kéa live machine et instruments acoustiques).
Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon, tél. : 04 72 07 49 49, jusqu’au 19 novembre. Comédie de Saint-Etienne, du 13 au 15 décembre. Théâtre Jean Vilar, Bourgoin-Jallieu, les 9 et 10 mars. (Durée : 1h 30).
Photo Bruno Amsellem.