Opéra National de Paris - Palais Garnier - jusqu’au 14 octobre 2009

MIREILLE de Charles Gounod

Un coup d’envoi qui manque sa cible

MIREILLE de Charles Gounod

Avec cette "Mireille" de Charles Gounod programmée en ouverture de son mandat à la tête de l’Opéra National de Paris et qu’il met lui-même en scène, Nicolas Joël semble vouloir tirer un trait sur près de quarante ans d’évolution et de rajeunissement de la pratique de l’opéra.

Profession de foi ? Ou simple ruade à l’adresse de son prédécesseur Gérard Mortier, ce passionné des avant-gardes qui asséna quelques électrochocs aux traditions du lyrique à la papa débouchant, malgré quelques extravagances et rendez-vous manqués, sur des réalisations devenues de référence (dont l’admirable "Wozzeck" actuellement à l’affiche avec Vincent Le Texier). On peut espérer que cette marche arrière ne sera que passagère et que l’homme qui insuffla durant quinze ans un si beau dynamisme au Capitole de Toulouse retrouvera les marques de son savoir-faire.

Il fut autrefois l’assistant de Patrice Chéreau quand celui-ci réalisa en 1976 la mise en scène de la Tétralogie des Nibelungen à Bayreuth, une production devenue légendaire mais dont le lancement commença par créer un véritable traumatisme. Avant de s’achever quelques saisons plus tard par une ovation qui dura plusieurs heures.

Des hommes de théâtre appelés pour rajeunir l’opéra

Depuis la fin des années soixante et le début des années soixante dix, des hommes comme Jean Vilar ou Giorgio Strehler avaient réfléchi à l’avenir de l’art lyrique qui se décomposait dans les routines d’un académisme poussiéreux et n’attirait plus grand monde. Ils ont pensé que l’opéra était aussi du théâtre, un théâtre sublimé par la musique. Des directeurs éclairés comme Rolf Liebermann à Paris ont donc fait appel à des hommes de théâtre pour rajeunir cet art. Ainsi, peu à peu ces metteurs en scène remodelèrent l’approche scénique de l’art lyrique. Leurs visions ont parfois dérouté avant de devenir des classiques. Le "Faust" de Gounod revisité par l’argentin Jorge Lavelli provoqua d’abord un tollé chez les conservateurs, puis il resta à l’affiche près de 30 ans avec un succès jamais démenti. Grâce à ces hommes, à ces femmes, l’opéra devint un art d’aujourd’hui et il est le seul des spectacles vivants à faire des salles pleines. Les Chéreau, Bondy, Lavelli, Wernicke, Decker, Stein eurent pour successeurs des Marthaler, Warlikowski, Carsen, Engel, Pelly, Py, Wilson. Avec des outrances parfois et des ratés forcément mais toujours cette curiosité et cet appétit de mettre le passé au présent. A l’opéra, l’œil aussi écoute.

Des chanteurs la main sur le cœur, des décors en forme de chromos

Que Nicolas Joël n’ait jamais été un novateur, que la précieuse direction d’acteurs des hommes de théâtre, lui soit une notion étrangère, était chose entendue depuis longtemps mais ses réalisations avaient toujours eu le mérite de l’élégance et du bon goût, qualités auxquelles s’ajoutaient ses parfaites connaissances musicales et son écoute quasi infaillible des voix.

Autant de qualités qui apparemment ici ont été mises en quarantaine. Il y a longtemps qu’on n’avait plus vu sur un tréteau d’opéra, pas même celui d’une province oubliée, des chanteurs se plantant à l’avant-scène, les bras levés au ciel ou la main agrippé sur le cœur pour chanter leurs couplets puis se tourner d’un bloc vers le ou la partenaire auquel il sont censés s’adresser… Il y avait longtemps qu’on n’avait plus vu des décors en forme de chromos dont on n’oserait même pas faire des cartes postales.

Fallait-il « relire » Mireille ? La sortir de son contexte ? Surtout pas ! Née dans les senteurs de romarin de la Provence dans l’imaginaire d’un jeune poète épris de son terroir et de sa langue « Mirèio », la suite de douze chants du jeune Frédéric Mistral fut mise en musique par un Charles Gounod tombé sous son charme. Sa « Mireille » ne saurait se passer du soleil qui traverse son pays, son histoire sa musique. L’Opéra de Marseille, il y a quelques mois, reprenait une production de Robert Fortune où tout était joliment couleur locale – voir webthea du 1er juin 2009 – sans trait de génie sans doute mais aussi sans mièvrerie avec des interprètes habités par leurs personnages.

Alain Vernhes (Ramon), Inva Mula (Mireille), Charles Castronovo (Vincent) et Anne-Catherine Gillet (Vincenette)

L’inusable Alain Vernhes, la rayonnante Anne-Catherine Gillet

Au Palais Garnier, même Marc Minkowski ne réussit pas à restituer à la partition de Gounod sa respiration gorgée de cigales et de mystères, sa direction, souvent si alerte et si juste, donne ici davantage de poids que d’ailes à cette musique de farandoles champêtres et d’orages intérieurs. Livrés à eux-mêmes, les chanteurs se débrouillent comme ils peuvent. Dans le rôle du vilain riche bouvier promis à la jolie Mireille qui n’en veut pas parce qu’elle aime le pauvre et tendre fils du vannier, Franck Ferrari grossit sa voix et en fait trop, le métier de l’inusable Alain Vernhes l’aide à tenir en présence et en voix le rôle patriarche castrateur, Charles Castronovo, jeune ténor américain ajoute à son timbre clair et son allure de jeune premier romantique une diction française quasi parfaite, Sylvie Brunet campe avec chaleur une Taven, sorcière au grand cœur, Anne-Catherine Gillet rayonne dans le petit rôle de Vincenette. En Mireille, à force de minauderies, Inva Mula, la soprano albanaise découverte par Nicolas Joël, peine à donner corps et surtout âme au rôle titre. La silhouette est gracile, la voix jolie, le phrasé en équilibre et les envolées satinées mais, sans repère, son jeu ressemble à celui d’une première communiante qui se serait trompée de messe.

La première saison parisienne de Nicolas Joël commence donc un peu à cloche pieds mais elle promet un beau bouquet de nouvelles productions (La dame du lac de Rossini, Andrea Chénier, La somnambule, Werther, les deux premières journées du Ring). La première nouveauté sera dès le 3 octobre la découverte de "La Ville Morte/Die tote Stadt" de Eric Wolfgang Korngold, un événement à ne pas manquer.

« Mireille » de Charles Gounod d’après le poème Mirèio de Frédéric Mistral, livret de Michel Carré. Orchestre et chœur de l’Opéra National de Paris, direction Marc Minkowski, mise en scène Nicolas Joël, décors Ezio Frigerio, costumes Franca Squarciapino, lumières Vinicio Celli. Avec Inva Mula, Charles Castronovo, Franck Ferrari, Alain Vernhes, Sylvie Brunet, Anne-Catherine Gillet, Sébastien Droy, Nicolas Cavallier, Amel Brahim-D-Jelloul, Ugo Rabec.

Opéra National de Paris, Palais Garnier, les 14, 19, 22, 26, 30 septembre, 2, 5, 7, 14 octobre à 19h30, le 11 à 14h30

+33 (0)8 92 89 90 90 – www.operadeparis.fr

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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