Simon Boccanegra de Verdi à l’Opéra Bastille

Ludovic Tézier, monumental Boccanegra

Avec un orchestre conduit d’une main d’orfèvre par Thomas Hengelbrock, Ludovic Tézier est l’atout d’une reprise très réussie de l’opéra de Verdi.

Ludovic Tézier, monumental Boccanegra

CALIXTO BIEITO NOUS AVAIT CONVAINCUS en signant très récemment une mise en scène très fouillée de The Exterminating Angel de Thomas Adès. Les coïncidences du calendrier veulent que l’on puisse revoir actuellement un spectacle beaucoup plus sommaire qu’il avait signé en 2018 sur la même scène de l’Opéra Bastille : Simon Boccanegra, œuvre relativement rare de Verdi, donnée ici dans sa version révisée de 1881, Verdi lui-même et Arrigo Boito ayant modifié le livret écrit par Piave en 1857.

Reprise avec soin, cette mise en scène laisse une singulière impression d’abstraction : l’intrigue n’est en rien racontée, tout est évoqué du point de vue du cerveau du rôle-titre, de ses hantises, de ses remords. Le décor consiste en une colossale charpente de bateau (ou de sous-marin, vaisseau des profondeurs ?) qui se justifie par le fait que l’action se déroule à Gênes, sur la côte ligurienne. Le bateau tourne sur lui-même avec majesté, cependant que les personnages, habillés dans de très ordinaires costumes des années 1970, bougent peu ou prennent tout à coup des poses mélodramatiques (ils sanglotent, se mettent à genoux, etc.), sans que cette histoire qui se souvient de Rigoletto tout en regardant du côté de Boris Godounov, étonnamment, quitte le domaine du questionnement psychologique.

Le chœur se contente lui aussi d’avancer avec lenteur à l’avant-scène, et Calixto Bieito, pour étoffer son propos, a recours à l’épuisant procédé des projections en très gros plan. Il fait également intervenir un personnage muet (joué par Annie Lockerbie Newton) qui déambule hagard sur la scène et figure le fantôme de Maria, celle qu’a aimée Boccanegra et a donné la vie à la fausse Amelia Grimaldi.

Insinuant et justifié

Dépouillé, le spectacle permet de se concentrer sur la musique, ce qui n’est pas un mal. Simon Boccanegra est un opéra méditatif, qui prend son temps et ne laisse aucune place au divertissement. Verdi en a particulièrement soigné l’orchestration, ce qui donne à l’excellentissime Thomas Hengelbrock (futur directeur musical de l’Orchestre de chambre de Paris) l’occasion d’obtenir le meilleur de l’Orchestre de l’Opéra : les phrasés sont soignés, les nuances toujours justifiées, les effets de lointain réussis, la clarinette basse insinuante à la fin du premier acte. L’attention portée par le chef à l’équilibre entre la fosse et le plateau procure une impression de plénitude qui sert magnifiquement la partition.

La distribution réunie est elle aussi au-dessus de tout éloge : Ludovic Tézier est un Boccanegra monumental, au timbre toujours riche, à la ligne magnifiquement menée. Son autorité naturelle lui permet de donner sens à toutes les fragilités du personnage et à mener le jeu de bout en bout, même lorsqu’il se tait. Mika Kares, dans le rôle plus épisodique de Jacopo Fiesco, a lui aussi une stature impressionnante, une voix de basse comme on en entend peu, un volume mêlé à une noblesse dans le style qui nous saisit dès les premières mesures. Nicole Car chante Amelia d’une manière vibrante, généreuse, mais sans jamais déboutonner son chant, comme si les deux figures précédentes, qui se révèlent être son père et son grand-père, veillaient sur elle. Charles Castronovo en fait peut-être un peu trop dans le rôle de Gabriele Adorno, tour à tour amoureux et désemparé, mais on ne lui reprochera pas d’être trop généreux. Les petits rôles sont tenus avec bonheur et contribuent à la réussite vocale et instrumentale de cette captivante reprise.

Illustration : Nicole Car, Ludovic Tézier et Charles Castronovo (photo Vincent Pontet/OnP)

Verdi : Simon Boccanegra. Avec Ludovic Tézier (Simon Boccanegra), Nicole Car (Amelia), Mika Kares (Jacopo Fiesco), Charles Castronovo (Gabriele Adorno), Paolo Albiani (Étienne Dupuis), Alejandro Baliña Vieites, Paolo Bondi (Un capitano dei Balestrieri), Marianne Chandelier (Un’ancella di Amelia), Annie Lockerbie Newton (Maria Fiesco, rôle muet). Mise en scène : Calixto Bieito ; décors : Susanne Gschwender ; costumes : Ingo Krügler ; lumières : Michael Bauer ; vidéo : Sarah Derendinger. Chœurs (dir. Alessandro Di Stefano) et Orchestre de l’Opéra national de Paris, dir. Thomas Hengelbrock. Opéra Bastille, 19 mars 2024. Représentations suivantes : 22, 25, 28, 31 mars, 3 avril.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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