Atelier Lyrique de l’Opéra National de Paris

Les Aveugles

Polyphonies immobiles du monde de la nuit

Les Aveugles

C’est une première : la création mondiale d’un nouvel opéra par l’Atelier Lyrique de l’Opéra National de Paris, l’école de perfectionnement de jeunes chanteurs qui a succédé en 2005 à son Centre de Formation Lyrique. Une commande passée au compositeur suisse Xavier Dayer qui vient d’être représentée pour la première fois dans le cadre du Festival de Saint Denis.

Après Pelléas et Mélisande sublimé par Debussy en 1906, c’est donc une nouvelle fois un texte du poète belge Maurice Maeterlinck qui est mis en musique, avec ses silences, son apesanteur, sa façon distante et élégante de relier les émotions et les mots, les êtres et leur destin. Ils sont douze aveugles, six hommes, six femmes et leur guide qui les emmène en promenade au fond d’une forêt. Mais le guide meurt en silence, aucun des aveugles ne s’en aperçoit, et, il n’y a donc plus personne parmi les arbres pour ramener les pensionnaires à l’hospice. La pièce de Maeterlinck peut se lire comme une sorte d’oratorio sur la fragilité de la condition humaine, la solitude et la peur. Un « drame statique » dit son sous-titre, une forme qui se prête idéalement à un traitement vocal où Xavier Dayer puise les ressources, de ce qu’il appelle une fiction de l’intime. A 34 ans, il s’était déjà engagé dans cette voie d’ « univers mental » avec Mémoire d’une Jeune Fille Triste créé à Genève en 2005. A 34 ans, Dayer a fait ses classes, entre autres institutions, à l’IRCAM et en a tiré le goût des dissonances que l’on retrouve dans ces Aveugles livrés à leur angoisse de ne plus savoir s’il fait encore jour ou si la nuit du dehors a rejoint celle du dedans.

Une suite d’états d’âme

Une conque aux couleurs du globe terrestre qui peu à peu va se teinter d’ocre et de nuit, accueille l’étrange procession de ces hommes et de ces femmes en blanc comme la couleur des cannes qui dans la ville les signalent aux voyants. Ils s’installent sur des petits tabourets éparpillés dans leur clairière lunaire et racontent : d’abord leur quiétude, puis, crescendo, leur inquiétude, leur souffrance, leur peur...

Opéra, oratorio ? Il ne s’y passe pratiquement rien sinon une suite d’états d’âme... En l’absence de vrais personnages, pas de véritable direction d’acteurs mais une mise en scène de Marc Paquien plutôt d’ordre pictural avec de beaux jeux de lumières signés Dominique Bruguière. Les cinq musiciens de l’Ensemble Cairn jouent à vue côté cour sous la direction pointilleuse de Guillaume Tourniaire. La balade dure quelque soixante quinze minutes. Juste assez pour que s’exerce sans lasser la fascination de ces polyphonies immobiles. Où se révèlent des voix, des tessitures, des tempéraments, des présences : les sopranos coréenne Hye-Youn Lee et Yun Jung Choi aux moyens considérables, la mezzo américaine Letitia Singleton, remarquable d’intensité, la basse française Ugo Rabec, les barytons Igor Gnidii de Modavie et Bartlomiej Misiuda de Pologne aux voix cuivrées et à la diction claire. Drayer a, semble-t-il, davantage favorisé les tessitures masculines dont les prouesses techniques sont moins exigeantes. Les mêmes jeunes chanteurs s’étaient déjà confrontés aux grands classiques comme Mozart ou Berlioz. L’univers de Dayer leur ouvre les voies de leurs contemporains, les Sciarrino, Boesmans, Manoury ou autre Dusapin.

Tel quel, au-delà des quelques représentations programmées, pour une reprise justifiée, ce spectacle trouverait idéalement sa place dans l’Amphithéâtre de Bastille.

Les Aveugles de Xavier Dayer d’après la pièce de Maurice Maeterlinck, création mondiale, commande de l’Atelier Lyrique de l’Opéra National de Paris, Ensemble Cairn, direction Guillaume Tourniaire, mise en scène Marc Paquien, scénographie Gérard Didier, lumières Dominique Bruguière. Avec : Hye-Youn Lee, Yun Jung Choi, Letitia Singleton, Diana Axentii, Elisa Cenni, Marie-Adeline Henry, Jason S. Bridges, Joel Prieto, Bartlomiej Misiuda, Ivan Geissler, Igor, Gnidii, Ugo Rabec.
En partenariat avec le Festival de Saint Denis et le Festival Francofffonies. Théâtre Gérard Philippe à Saint Denis, les 19,20 & 21 juin - Almeida Theatre à Londres lres 27 & 28 juin.

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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