Paris-Théâtre de l’oeuvre jusqu’au 8 septembre 2009

Le jour de l’italienne ou les vraies confidences par la compagnie Eulalie

La petite fabrique du théâtre

Le jour de l'italienne ou les vraies confidences par la compagnie Eulalie

S’il est vraiment embarqué par les acteurs, totalement absorbé par ce qui se passe sur le plateau, le spectateur ne se pose pas la question de la fabrication du spectacle. D’ailleurs il n’a peut-être pas envie de connaître la cuisine interne, ce serait comme de révéler le mystère d’un tour de magie. Mais aimer le théâtre, c’est aimer frayer dans les eaux troubles entre le faux et le vrai, entre l’illusion de la scène et l’admiration du travail. Travail dont généralement on n’arrive pas à se faire une idée précise. C’est en partie pour répondre à la question fréquente et incrédule : « que faites-vous pendant deux mois pour répéter une pièce ? » que Sophie Lecarpentier, à qui on doit entre autres la mise en scène de Le fait d’habiter Bagnolet de Vincent Delerm, a entrepris, avec les acteurs, de dévoiler l’envers du décor. Il faut dire que le théâtre aime à parler de lui-même. Sur le prétexte de la répétition de L’Épreuve de Marivaux, on assiste, l’espace d’une grande heure, à deux mois de répétition, depuis le premier jour du travail à la table jusqu’au jour de la première publique. Il s’agit de mettre en scène le théâtre dans le théâtre, triple mise en abyme où les acteurs portent sur scène leur nom de ville – qui deviennent donc des noms de personnages, lesquels répètent une pièce. Marivaux, le prince du travestissement, était tout indiqué pour illustrer cette exercice de vraies-fausses confidences, d’autant plus que la modernité de la langue offre un beau terrain de jeu qu’avait déjà si bien su exploiter Abdellatif Kechiche avec son film L’Esquive.

L’illusion comique

Construit de manière linéaire, le spectacle joue sur la compression du temps qui tantôt se dilate pour laisser une scène se déployer, tantôt s’accélère en une succession d’arrêts sur image, de zooms. Le travail de mise en scène, volontiers cinématographique, se réfère à La Nuit américaine de Truffaut. De temps à autre, le fil est interrompu pour un gros plan sur un des acteurs qui défend son rôle dans la pièce de Marivaux à l’intention du public. Rien n’est oublié de tous les petits détails qui font le quotidien du travail et qu’il est impossible de théoriser. Le théâtre reste la seule manière d’en rendre compte. Ainsi on découvre tout ce qu’on a toujours voulu savoir sur le laboratoire des spectacles, les tâtonnements, les encouragements, les découragements, les coups de mou, les disputes, les petites histoires et les rivalités entre acteurs, les rapports de force, d’amitié, d’amour. Les relations très affectives entre les acteurs et le metteur en scène, parfois tendues entre les artistes et les techniciens. On voit comment le puzzle se met en place de manière chaotique, fragile dans une tension générale qui confine à l’hystérie collective quand l’échéance approche. Il faut tout gérer en même temps, surtout quand on est une petite production, la mise en scène, le décor, les costumes, la technique, et les crises en tout genre. Au passage, on y apprend le sens de termes techniques, la signification de "cour" et "jardin", qu’une servante n’est pas une domestique mais une lampe laissée allumée après la fermeture du théâtre ; qu’une italienne est un exercice qui consiste à dire le texte le plus vite possible pour le mettre en bouche. Quand tout est fin prêt pour le grand soir, le public est ému d’avoir été mis dans la confidence et d’avoir assisté à la gestation et à la naissance du bébé. Enfin telles que l’illusion théâtrale nous les a présentées. Les difficultés et les efforts se sont effacés pour ne laisser voir que le plaisir du jeu.
Tout ceci est bien observé et joliment écrit, avec légèreté, justesse et humour, au bord de l’autodérision sans jamais tomber dans la caricature et les acteurs sont tous épatants. Une comédie généreuse, sans prétention et bien enlevée.

Le jour de l’italienne ou les vraies confidences création collective de la comapgnie Eulalie sous la direction de Sophie Lecarpentier.Avec Xavier CLion, Vanessa Koutseff ou Lucie Chabaudie, Sophie Lecarpentier, Solveig Maupu, Emmanuel Noblet ou Stéphane Brel, Alix Poisson, Julien Saada. Luc Muscillo et Emmanuel Noblet (Llumière), Sébastien Trouvé (son), Hélène Lecarpentier (scénographie). Au Théâtre de l’oeuvre. Du mardi au samedi à 21h, samedi 19h. Tél : 01 44 53 88 88. Durée : 1h10.

Spectacle créé au festival d’Avignon off 2007.
Texte édité aux Éditions Les cygnes.

La compagnie joue aussi L’Épreuve de Marivaux depuis décembre 2008.

Crédit : Serge Perichon

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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