Strasbourg - Opéra National du Rhin

L’autre côté de Bruno Mantovani

Mantovani-Kubin : un premier opéra qui secoue

L'autre côté de Bruno Mantovani

L’un, né en Autriche en 1877, fut le peintre, dessinateur et écrivain de l’épouvante et du malheur, l’autre, né en France en 1974 est le plus jeune et le plus prolifique compositeur de sa génération. Alfred Kubin et Bruno Mantovani n’étaient pas à priori destinés à se croiser. Leur rencontre vient pourtant de donner naissance à un opéra qui secoue. Commande de l’Opéra National du Rhin, inscrit dans la programmation de Musica, le Festival des musiques d’aujourd’hui qui se tient chaque automne à Strasbourg, L’Autre Côté dévoile Kubin, artiste majeur peu connu en France et confirme l’immense palette de dons que les fées de la musique ont balancés dans le berceau du petit Mantovani. Un cas. Pas même 32 ans d’âge - il les fêtera le 8 octobre prochain - et déjà géniteur d’une œuvre abondante, jouant sur les registres les plus variés (cantates, musiques de chambre, musiques pour orchestre, pour instruments solistes, électroacoustique ou autre, pour piano, saxo ou percussions), joué dans les grandes maisons de musique, interprété par les plus grands tels Pierre Boulez. Réussissant cette performance rare, à son âge et dans ce métier-là, de vivre de son art.

Une dramaturgie à mettre en musique

Mantovani, le prolixe, n’avait pas encore abordé l’opéra. C’est chose faite grâce à François Regnault, dramaturge bien connu du monde du théâtre, qui lui fit lire l’unique roman d’Alfred Kubin, L’Autre Côté, terrifiante fantasmagorie sur un monde clos tenant du fascisme et de la secte. Mantovani, séduit par cette plongée en enfer, publiée en 1908 et charriant des hallucinations de notre temps, confia à Regnault le soin d’un tirer un livret. Progression rigoureuse, dialogues à la fois économes et puissants, le résultat a la carrure d’une vraie pièce de théâtre. Une dramaturgie à mettre en musique.

Grisaille et poussières pour tout paysage

Qu’est donc cet Empire du Rêve auquel un mystérieux messager convie le peintre et dessinateur Kubin, personnage principal de L’Autre Côté qui porte le nom de son auteur ? Une autocratie née dans le lointain d’une lointaine Asie par un certain richissime Claus Patera, autrefois copain de classe du gentil Kubin. Un paradis promis qui se révèle antichambre de l’enfer, lieu improbable où s’entassent les relents de vieilles bicoques d’Europe et où erre une population en guenilles soumise au dieu autoproclamé Patera. Soleil, lune ou étoiles sont bannies d’un ciel uniformément glauque, grisaille et poussières pour tout paysage. Pas l’ombre d’une rébellion chez ces habitants habitués à marcher courbés, jusqu’à ce qu’apparaisse l’Ami Américain, un milliardaire qui s’institue, à coups de dollars et de discours, libérateur et défenseur des libertés. Car dans ce monde-là, tout s’achète...

Les échos que cette situation imaginée au tout début du vingtième siècle trouvent dans le monde d’aujourd’hui sont assez hallucinants. Fort heureusement, ni les auteurs, Mantovani et Regnault, ni le metteur en scène Emmanuel Demarcy-Mota, ni Yves Collet, son décorateur, n’en chargent la vision d’une actualisation politique. Ils ont imaginé un no man’s land habité de miradors mobiles, de passerelles et de plate-formes, échafaudages en ferrailles baignant dans des pénombres menaçantes. C’est à la fois intelligent et honnête mais on peut regretter que rien, dans ces clairs-obscurs de port de l’angoisse ne suggère l’imagerie fantastique de Kubin, ses songes nocturnes où volent des êtres hybrides, des morts en robes de mariée ou des lacs engloutis.

Beaucoup d’atouts pour un premier opéra

C’est la musique de Mantovani, du moins dans sa partie orchestrale, qui en rend compte. Puissante, résolument atonale et n’appartenant qu’à lui. Un monde à part, sans références immédiatement audibles à ses prédécesseurs, clins d’yeux aux grands d’hier, les Wagner, Debussy, Strauss ou Schönberg dont regorgent tant d’œuvres des compositeurs contemporains. Percussions perlées, halètements des cuivres, ritournelles syncopées, clarinettes mordantes. Mantovani compose la pâte sonore d’un monde qui marche sur la tête. Beaucoup d’atouts pour un tout premier opéra même si le traitement des voix laissent encore à désirer. Hormis le rôle de Kubin, superbement défendu par le ténor Fabrice Dalis, les autres personnages semblent incertains, d’autant que le reste de la distribution s’avère faiblard. Même Lionel Peintre, d’habitude vif argent, ne réussit pas à imposer vocalement son Américain, marchand de faux espoirs.
A la tête de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Bernhard Kontarsky prouve une fois de plus qu’il est l’un des plus dévoués défenseurs des musiques de notre temps.

L’Autre Côté de Bruno Mantovani d’après Alfred Kubin, livret de François Regnault, orchestre philharmonique et percussions de Strasbourg, direction Bernhard Kontarsky, mise en scène Emmanuel Demarcy-Mota, dramaturgie François Regnault, décors et lumières Yves Collet, costumes Corinne Baudelot. Avec : Fabrice Dalis, Maryline Fallot, Lionel Peintre, Avi Klemberg, Sylvia Vadimova, Robert Expert, Jean-Loup Pagesy, Violeta Poleksic.
Opéra National du Rhin à Strasbourg les 23,26,28 septembre à 20h, Filature de Mulhouse le 6 octobre à 20h ; 03 88 75 48 23

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook