L’Avare de Molière
Un Harpagon fou et enfantin
Les spectacles « classiques » du Grenier de Babouchka et de Jean-Philippe Daguerre, qu’on peut voir au théâtre Michel, au Ranelagh et au Saint-Georges (Le Malade imaginaire, Les Fourberies de Scapin, Le Cid, Le Médecin malgré lui, auxquels s’ajoute un moderne qui arrive au théâtre 13, Clérambard de Marcel Aymé) sont tous d’une grande qualité. Ils ne sont nullement dans la facilité, comme peuvent l’être certaines productions à l’intention du public scolaire. Tout en respectant le principe d’un cadre et de costumes historiques, ils traduisent aussi le point de vue du metteur en scène, Jean-Philippe Daguerre, qui ne dénature pas l’œuvre mais ne se contente pas de gérer l’action et les situations. Face à L’Avare - qui n’est prévu pour le seul jeune public et et se joue essentiellement en soirée -, il prend le parti d’opposer avec une netteté tranchante deux mondes, celui d’Harpagon, fermé dans sa solitude, « avaricieux » jusqu’à la folie, et une famille, un entourage très vivants, qui ne restent pas dans l’ombre. Les meubles sont tous couverts de toiles grises : Harpagon protège tout ! La pièce, qui est très longue (la plus longue des comédies de Molière), a été allégée : il n’y a pas, par exemple, dans sa totalité, la scène où le maître de maison distribue les tâches à un personnel auquel on donne du travail et pas d’argent. Mais on comprend bien ces aménagements : on ne peut pas faire durer trois heures (comme le faisait Roger Planchon, à la fin de sa vie) une représentation qui s’adresse à tous les âges. Daguerre a, précisément le sens du rythme. Il fait jouer tout ce qui est stratagème et complot à l’arrière-scène, de façon latérale, d’une manière plutôt cinématographique. Et il réussit la fin qui est tout à fait invraisemblable et qui ne passe que si on ajoute de la fantaisie à la convention de ce dénouement – écrit à toute allure, sans avoir trop le temps de réfléchir, par un Molière pressé.
Didier Lafaye est précisément un comédien qui a de la fantaisie. L’Harpagon qu’il incarne est obsessionnel, fou, mais plutôt enfantin, pas dénué de tendresse. Son avarice fait peur mais lui n’est pas terrifiant. Cet acteur est excellent, en compagnie de partenaires qui ont tous de la personnalité et du dynamisme. Etre ainsi classique sans académisme, c’est la bonne formule.
L’Avare de Molière, mise en scène de Jean-Philippe Daguerre, décors de Simon Gleizes et Franck Viscardi, costumes de Catherine Lainard, avec Didier Lafaye, Philippe Arbeille ou Olivier Girard, Pierre Benoist ou David Mallet, Grégoire Bourbier, Marejo Buffon, Stéphane Dauch ou Etienne Launay, Bruno Degrines, Armance Galpin, Antoine Guiraud, David Ferrara, Stéphane Wurtz.
Théâtre du Ranelagh, 20h 45 du mercredi au samedi, matinées le samedi et le dimanche ; tél. : 01 42 88 64 44/ (Durée : 1 h 45).
Photo François Raison.