Bruxelles - La Monnaie jusqu’au 22 décembre 2009

Iphigénie en Aulide et Iphigénie en Tauride de Christoph Willibald Gluck

Véronique Gens et Stéphane Degout vedettes et sauveurs du diptyque de Gluck

Iphigénie en Aulide et Iphigénie en Tauride de Christoph Willibald Gluck

L’idée de monter dans une même production les deux Iphigénie(s) de Gluck part certes d’une intention intéressante, encore faut-il leur trouver une cohérence dramatique et musicale. Le doublé que La Monnaie de Bruxelles vient de réaliser dans la mise en scène de Pierre Audi, le directeur de l’Opéra d’Amsterdam, ne répond pas vraiment à cette attente.

Une même héroïne, deux histoires puisées dans le destin tragique des Atrides dont la guerre et la volonté divine avec ses sacrifices expiatoires sont le ressort. Gluck (1714-1787) s’inspira d’Euripide pour la mettre en théâtre et en musique, une Iphigénie en Aulide composée en 1774 et sa suite en Tauride achevée cinq ans plus tard. Dans la première les dieux exigent d’Agamemnon de sacrifier sa fille cadette Iphigénie pour obtenir les vents nécessaires à sa flotte et partir faire la guerre aux Troyens, dans la seconde, Iphigénie sauvé in extremis par Diane et devenue sa prêtresse est condamnée à tuer tous les voyageurs échouant sur ses rives. Oreste son frère perdu et retrouvé est le dernier arrivé. Ainsi les caprices des dieux poussent les hommes vers l’inceste, le parricide, la matricide…

Un parti pris dans la lignée des réactualisations politiques et sociales

Pour Pierre Audi les temps n’ont pas changé : les guerres menées au nom de dogmes divins avec leurs lots de martyrs volontaires restent d’actualité. La soldatesque en treillis occupe le terrain de sa mise en scène, et, quand Iphigénie revendique son devoir de sacrifice, elle apparaît bardée d’une ceinture d’explosifs. Un parti pris qui s’inscrit dans la lignée des « réactualisations » politiques et sociales des classiques à la mode depuis une trentaine d’années sur les scènes de théâtre et d’opéra avec des bonheurs divers. Audi ne lui apporte rien de plus ni de neuf. On pense irrésistiblement à la démarche du metteur en scène polonais Warlikowski qui avait, il y a 3 ans à l’Opéra de Paris, signé une mise en scène à l’imaginaire fabuleux D’Iphigénie en Tauride sur le thème des ravages du temps (voir webthea du 22 juin 2006).

Hors des normes acoustiques

Mais la mise à jour d’Audi aurait pu s’épanouir dans un espace taillé aux mesures de sa scénographie, un lieu vide, une salle modulable ou même la piste d’un cirque, mais, à La Monnaie de Bruxelles, à la fois coincée et éclatée dans la structure d’une salle à l’italienne, elle apparaît artificielle. L’aire de jeu est avancée vers le public sur un praticable qui couve la fosse d’orchestre. A cour et à jardin des volées d’escaliers en métal mènent aux loges d’avant scène. L’orchestre est placé derrière cet espace, sur la scène, tandis que des gradins descendent du mur du fond pour y recevoir les choristes et une centaine de spectateurs. Échafaudages et tubulures forment le gros du décor de Michael Simon, un style que Pierre Audi apparemment affectionne. Les costumes – Clytemnestre en robe de grand soir imprimée en treillis, les prêtresses Diane affublées de vieilles couvertures couvrant des chemisettes sorties d’un Tati en soldes, genouillères, pataugas et autres mitaines – sont carrément abscons. Restent les belles lumières rasantes de Jean Kalman.

Placé hors des normes acoustiques habituelles de la salle, l’excellent Orchestre Symphonique de La Monnaie perd une part de résonance, mais Christophe Rousset compense le handicap en lui insufflant la légèreté et la discrétion attentive d’un accompagnement dans l’Aulide et réussit malgré tout à donner rage et flamme à l’Iphigénie en Tauride.

Stéphane Degout prodigieux Oreste

Dans le premier rôle titre Véronique Gens domine la distribution par son engagement, la clarté de sa diction et sa voix généreuse, si bien rompue au chant français. A côté d’elle l’Américain Andrew Schroeder/Agamemnon se distingue également par la franchise de son élocution et la chaleur de son timbre de baryton, dans le rôle d’Achille, le ténor français Avi Klemberg fait preuve d’un beau tempérament, et de voix et de jeu.

La mezzo allemande Nadja Michael qui fut une fort belle Médée de Cherubini dans ce même théâtre de La Monnaie (voir webthea du 17 avril 2008) manque ici singulièrement de maîtrise en Iphigénie sommée d’assassiner son frère : voix instable, diction en patate chaude et jeu outré. Mais le bonheur reste au rendez-vous grâce au duo formé par le ténor finlandais Topi Lehtipuu/Pylade tout de lumière intérieure et Stéphane Degout prodigieux Oreste personnage qu’il avait déjà sublimé dans la reprise de la production parisienne de Warlikowski (voir webthea du 25 mai 2008). De rôle en rôle (Thésée, Papageno, Guglielmo, Pelléas ou, récemment à Bastille, Frank Fritz de La Ville Morte), ce jeune baryton grimpe les marches de l’excellence et s’affirme comme l’un des meilleurs, sinon « le » meilleur de sa génération.

Iphigénie en Aulide (1) – Iphigénie en Tauride (2) de C. W. Gluck. Orchestre Symphonique et Chœurs de La Monnaie, direction Christophe Rousset, mise en scène Pierre Audi, décors Michael Simon, costumes Anna Eiermann, lumières Jean Kalman. Avec : (1) Véronique Gens, Andrew Schroeder, Avi Klemberg, Charlotte Hellekant, Gilles Cachemaille, Werner van Mechelen, Violet Serena Noorduyn – (2) Nadja Michael, Stéphane Degout, Topi Lehtipuu, Werner Van Mechelen, Violet Serena Noorduyn…

La Monnaie – Bruxelles, les (1), 3, 8, 10 & 18 décembre, (2), 4, 9, 11 & 15 décembre – (1) + (2), 1, 6, 13, 20 & 22 décembre

+32 (0)70 233 939 - www.lamonnaie.be

© PP Hofmann

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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