Palais Garnier - Opéra National de Paris
IDOMENEO de Wolfgang Amadeus Mozart
Charlies workman sauveur d’Idoménée
- Publié par
- 5 décembre 2006
- Critiques
- Opéra & Classique
- 0
Aléa récurrent des grandes productions lyriques : la diva engagée pour défendre un rôle titre déclare forfait le soir de la première. C’est ce qui vient de se passer au Palais Garnier, où le mexicain Ramon Vargas prévu pour interpréter le rôle d’Idoménée, le répéta consciencieusement puis tomba malade la veille du jour J. Une bonne fée heureusement veillait sur la production : Charles Workman, superbe interprète du Prince dans la reprise de L’Amour des Trois Oranges actuellement à l’affiche de Bastille (voir webthea du 14 décembre 2005) remplaça au pied levé le ténor défaillant. Quelques heures à peine de mise en forme et le voilà défendant brillamment le malheureux monarque contraint par un dieu vengeur de sacrifier son fils. Sa voix claire et pleine, reconnaissable entre toutes, sa diction impeccable, son jeu habité, en firent le sauveur de la soirée.
Entre grève et dunes un espace mental de solitude
Ainsi donc Idoménée, opéra seria de jeune maturité d’un Mozart de 24 ans, est de retour à Garnier après une apparition en 2002 tellement absurde et contestée du chef d’orchestre Ivan Fisher se prenant subitement pour un metteur en scène, qu’on s’est empressé de l’oublier. La nouvelle mouture actuellement sur scène arrive de la Scala de Milan dont elle avait assuré la réouverture avec un succès mitigé. La mise en scène est toujours signée Luc Bondy moyennant, nous indique-t-on, quelques modifications. Entre grève et dunes, noir sur noir, un espace mental de solitude sert de toile de fond à la saga. A défaut d’innovation éclairante ou de relecture tapageuse, cette mise en austérité sert davantage la musique que le livret. L’œil écoute plutôt qu’il ne regarde. L’unique point de vue original du metteur en scène se limitant à l’assimilation du monstre surgi des mers à un cyclone ou un tsunami meurtrier.
Un déni de démocratie dicté par l’intimidation et la peur
De fait, cet opéra, commande du Prince Electeur de Bavière pour le carnaval de Munich, draine quelques solides fatalités arrachées aux esprits des mythologies antiques. Pour remercier Neptune de l’avoir sauvé des eaux d’une tempête, Idoménée, roi de Crète, doit sacrifier le premier homme rencontré après son naufrage. Et le destin fait que cet homme-là soit son fils.
A Berlin, fin septembre dernier, le metteur en scène Hans Neuenfels avait voulu symboliser l’état de droit divin dicté par Neptune par les personnifications des principales croyances religieuses qui dominent notre monde, de Poséidon à Mahomet, en passant par Jésus et Bouddha. Pour cause d’offense à l’islam, une série de menaces poussa la directrice de la Deutsche Oper a en annuler les représentations. Ce déni de démocratie dicté par l’intimidation et la peur fut unanimement condamné dans le pays.
Les solos aériens des flûtes traversières
A Paris, la prudente conception de Luc Bondy met en tout cas l’Opéra de Paris à l’abri de troubles, hormis ceux émanant de quelques snobs spécialisés ès huées. Sa direction d’acteurs en revanche joue comme d’habitude la carte de la subtilité. En Idamante, fils perdu et retrouvé, la soprano Joyce DiDonato, timbre fruité, projection franche, à la fois altière et fragile, fait merveille. La grâce, la juvénilité, la voix légère de Camille Tilling, ravissante malgré sa méchante robe de collégienne et ses godillots, sont en parfaite adéquation avec le personnage d’Ilia, la captive amoureuse tandis que Mireille Delunsch, en Elettra élégante et outragée, après un démarrage un peu raide, recouvre rapidement le velouté acidulé de son timbre. Seule déception : Thomas Moser, en fin de course et de souffle, dans le rôle pourtant poignant d’Arbace, le messager du malheur.
Un réel plaisir monte de la fosse d’orchestre dont le chef Thomas Hengelbrock enfièvre les pupitres. Manifestement les musiciens sont en osmose avec l’enthousiasme pointilleux de ce fin mozartien, en particulier les vents d’où s’échappent les solos aériens des flûtes traversières.
Idomeneo de Wolfgang Amadeus Mozart sur un livret de Giambattista Varesco, orchestre et chœurs de l’Opéra National de Paris, direction Thomas Hengelbrock, mise en scène Luc Bondy, décors Erich Wonder, costumes Rudy Saboughi, lumière Dominique Bruguière. Avec Charles Workman (ou Ramon Vargas), Joyce DiDonato, Camilla Tilling, Mireille Delunsch, Thomas Moser, Xavier Mas, Ilya Bannik, Jason Bridges, Youn-Jung Choi, Hye-Youn Lee.
Palais Garnier, les 30 novembre, 3,5,11,15,18,22,27,29 décembre à 19h30 - 08 92 89 90 90
Photo : Opéra national de Paris