House d’Amos Gitai

Une archéologie des mémoires

House d'Amos Gitai

L’univers artistique de l’Israélien Amos Gitai est d’abord cinématographique et les œuvres théâtrales sont souvent issues de ses films ; ainsi House a d’abord été une trilogie documentaire qui revisite un territoire à plusieurs reprises sous des points de vue différents, à travers l’histoire d’une Maison de Jérusalem Ouest depuis 1948 et de ses occupants successifs, Arabes et Juifs, Palestiniens et Israéliens. La loi sur la propriété des absents est l’un des textes fondateurs d’Israël. Elle accorde à l’État le pouvoir de confisquer et saisir les propriétés et ressources que les Palestiniens ont été contraints de laisser derrière eux en 1948, et ne s’applique qu’aux seuls Palestiniens dont certains sont des déplacés, des réfugiés de l’intérieur et n’ont aucun moyen de récupérer leurs biens. En vertu de cette loi, des habitations sont parfois détruites ou attribuées à des colons.
La maison raconte l’histoire des hommes ; sa dimension symbolique l’élève au rang de personnage principal. Maison occupée, abandonnée, confisquée, spoliée, elle est un point d’ancrage, une part de notre identité, certainement une partie de nos racines quand elle est celle de l’enfance ; on est rarement indifférent à nos maisons, encore moins pour les habitants d’une région soumise depuis si longtemps aux tensions des conflits. Au-delà, la maison est le pays même, un lieu où l’on est accueilli ou expulsé. Ce serait beau si ce n’était pas tragique. Ce faisant, Amos Gitai dessine une mosaïque de destins tous marqués par des origines multiples.

En préambule, Jeanne Moreau, sur la scène du théâtre de l’Odéon – Théâtre de l’Europe, lit une lettre d’Efratia, la mère d’Amos Gitai, écrite à son fils (extrait de la correspondance d’Efratia, 2010). La scène, apparaît et disparaît dans un glissando muet sur l’écran tel un fantôme né d’un rêve, en forme de dédicace.
A cour et à jardin d’impressionnants échafaudages structurent l’espace, des ouvriers fabriquent les briques destinées à la reconstruction, à l’extension d’une maison qui a connu des propriétaires successifs ; l’un des ouvriers dit qu’il est bien triste de construire sur les ruines d’une maison. Tour à tour, s’avançant vers le public, chacun fait le récit de son histoire personnelle, souvent douloureuse, où il est toujours question des origines.
La musique est partie prenante de cette polyphonie. Des chanteurs lyriques et des musiciens talentueux (Kioomars Musayyebi au qanum, instrument traditionnel méditerranéen, Alexey Kochetkov au violon). Le répertoire musical, associé au mélange des langues (anglais, arabe, français, hébreu, yiddish), contribue à la dimension multiculturelle du spectacle, expression de l’espoir d’une réconciliation rêvée. Pourtant on sait que si certains rêvent d’un avenir apaisé d’autres n’y croient plus du tout. On perçoit alors un non-dit qui frappe à la porte du récit. Amos Gitai ne prend pas de risques et s’arrange pour éluder le problème du durcissement de la politique israélienne. Une actualité qui fait défaut et biaise le propos. Tous les habitants du pays, sans exception, y sont confrontés. Comment ne pas prendre en compte ce contexte, ces transformations qui architecturent les récits de vie ?
Le spectacle garde une distance polie avec cette question cruciale. Le point de vue manque d’une vraie théâtralité, d’une dynamique qui fasse décoller le propos, un souffle poétique qui nous saisisse. Quoiqu’on en devine le sens, les adresses au public systématiques finissent par anesthésier les scènes. Dans le cadre qui leur est offert, les comédiens peinent à trouver leur voix, exceptés Bahira Ablassi et Micha Lescot dont les personnages habitent le plateau. La proposition théâtrale d’Amos Gitai est un peu trop sage pour un sujet si brûlant.

House, texte, mise en scène et scénographie Amos Gitaï. Adaptation Marie-José Sanselme et Rivka Gitai. Avec Bahira Ablassi, Dima Bawab, Benedict Flinn, Irène Jacob, Alexey Kochetkov, Micha Lescot, Pini Mittelman, Kioomars Musayyebi, Menashe Noy, Laurence Pouderoux, Minas Qarawany, Atallah Tannous, Richard Wilberforce. Assistanat à la mise en scène Talia de Vries et Anat Golan. Scénographie Amos Gitai assisté de Philippine Ordinaire. Costumes Marie La Rocca assistée d’Isabelle Flosi. Lumières Jean Kalman. Son Éric Neveux. Chef de chœur Richard Wilberforce.
Au théâtre de la Colline, du 14 mars au 13 avril 2023, du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30, relâche le dimanche 19 mars. spectacle en anglais, arabe, français, hébreu, yiddish surtitré en anglais et en français. Durée estimée : 2h30.
© Simon Gosselin

Autour du spectacle
• Projection de la trilogie documentaire House d’Amos Gitai
en partenariat avec le Cinéma du réel – 45e festival international du film documentaire
Les projections sont précédées d’une présentation par Amos Gitai et la séance du 27 mars est suivie
d’une discussion avec le réalisateur.
– au Centre Pompidou - cinéma 2
samedi 25/03 à 18h45 : House
dimanche 26/03 à 17h45 : Une maison à Jérusalem
lundi 27/03 à 20h30 : News From Home / News From House
– au mk2 Beaubourg
samedi 1er avril à 14h : House
samedi 1er avril à 15h45 : Une maison à Jérusalem
samedi 1er avril à 18h : News From Home / News From House

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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