Falstaff de Giuseppe Verdi

De la farce au conte de fées : Ruggero Raimondi dans la peau d’un Falstaff décalé

Falstaff de Giuseppe Verdi

A Liège en Belgique, le bâtiment à colonnades de l’Opéra Royal de Wallonie (ORW) est fermé pour travaux, mais la boutique dirigée par l’Italien Stefano Mazzonis di Pralafera ne s’est pas mise au vert et poursuit ses activités hors les murs, notamment sous les toiles d’un ensemble de tentes spécialement aménagées avec un foyer spacieux équipé d’un bar et d’un espace restaurant et surtout une large salle aux gradins en pente légère garnis de confortables fauteuils en velours rouge. Le tout baptisé, non sans humour, Palais Opéra, en écho de celui qui avait à Venise remplacé la Fenice après l’incendie qui l’avait ravagé en 1996.

Quatre mois de travaux auront été nécessaires pour adapter l’ensemble aux exigences d’un lieu de spectacle. La large scène est équipée de moyens techniques pointus, l’emplacement de l’orchestre, à défaut de fosse, s’étire sur un périmètre à l’horizontale au ras de cette scène. L’acoustique y est satisfaisante et s’offre parfois en prime et en continuo le clapotis de la pluie et les chuchotis du vent.

Pour inaugurer ce domicile de transition, l’ORW a choisi l’ultime chef d’œuvre de Giuseppe Verdi, ce Falstaff de verve et d’humour humaniste et en a confié le rôle titre à un invité de prestige, Ruggero Raimondi, une légende depuis le Don Giovanni tourné en 1978 par Joseph Losey qui en fit une star planétaire. Depuis 2003 et son interprétation sobre de Don Alfonso dans le Cosi fan tutte mis en scène par Patrice Chéreau, il s’était fait plus rare sur les tréteaux de France. Mais Liège eut déjà le privilège de l’accueillir pour une Tosca, et c’est à Liège encore qu’il revient pour ce Falstaff décalé. Un retour attendu qui n’a pas déçu. A 68 ans, Raimondi a gardé une présence magnétique et une voix reconnaissable dès le premier envoi. La force de projection est intacte dans les attaques, le médium et les graves affichent des signes de fatigue, mais le charme opère toujours et ça marche.

Ruggero Raimondi ridicule sans être drôle et carrément émouvant

Son Falstaff se situe pourtant à cent lieues de l’histrion ventripotent imaginé par Verdi et son librettiste Arrigo Boito à partir de deux pièces de Shakespeare Henri IV et Les Joyeuses Commères de Windsor. Un chant du cygne lancé par un juvénile octogénaire concluant son passage sur terre par la constatation que « tutto nel mondo è burla – le monde entier est une farce ». Le personnage est ambigu, chevalier, donc noble, ruiné, la bedaine grasse dont il se vante, bouffon, froussard, naïf et roublard, il figure l’archétype du bouffon qui en fait trop pour dénoncer l’absurde de sa condition d’homme. Raimondi en vêtement large pour masquer l’élégance de sa silhouette naturelle s’investit davantage dans le tragique du rôle que dans ses bouffonneries. Ridicule sans être drôle, carrément émouvant dans ses scènes de mélancolie.

Costumes de music hall et chapeaux en choux de Bruxelles dilatés

Il est le pion docile de l’étrange échiquier mis en place par le metteur en scène italien Stefano Poda qui retourne l’œuvre comme un gant, transformant la farce en conte de fées mystique. En noir et blanc dans un décor en perspectives couleur sable avec en toile de fond une sorte de soleil éclaté d’où les personnages surgissent ou derrière lequel ils se camouflent en position d’espions ou de voyeurs. Des figurants danseurs, acrobates, déploient des banderoles explicatives à la façon du théâtre de Brecht. Les costumes semblent empruntés au music hall, en blanc et noir, froufrous et chapeaux pointus. Les trois commères arborent des robes du soir et se coiffent de gigantesques chapeaux en choux de Bruxelles dilatés, d’abord en blanc puis en noir au dernier acte. Déluges de projections vidéos, lumières sophistiquées souvent de toute beauté, les détournements poétiques de Poda agissent pourtant à contre sens. Le chêne du rendez-vous nocturne devient une croix, on est en plein délire christique. C’est joli, bien fait mais ce n’est pas Falstaff.

Les chanteurs, heureusement, restent dans les justes notes de la partition et du livret. Surtout les femmes : l’excellente Mrs Quickly de Cinzia de Mola, mezzo italienne qui a du bagout et du répondant réussit à sauvegarder l’humour couleur bronze de Verdi et à faire rire, Virginia Tola en Alice Ford a l’abattage d’une meneuse de revue, le timbre aéré de Sabina Puertolas pare Nanetta de grâce. Au rayon des hommes Luca Salsi porte avec vaillance le faux cocu de Ford.

L’acoustique, même si elle n’est guère comparable à celle d’une vraie salle équipée d’une vraie fosse, est remarquablement honnête, ce qui, vu la disposition des instrumentalistes, tient de la performance. Une performance du chef Paolo Arrivabeni, italien jusqu’au bout des doigts - il vient de diriger à Paris Bastille la reprise de l’Elixir d’Amour de Donizetti - qui réussit à communiquer à ses musiciens dispersés et aux chanteurs autant de fougue que de précision.

Falstaff de Giuseppe Verdi, livret de Arrigo Boito d’après Les Joyeuses Commères de Windsor et Henry IV de Shakespeare. Orchestre et chœur de l’Opéra Royal de Wallonie, direction Paolo Arrivabeni, mise en scène, costumes et lumières Stefano Poda. Avec Ruggero Raimondi, Luca Salsi, Virginia Tola, Sabrina Puertolas, Cinzia de Mola, Liliana Mattei , Tiberius Simu, Gregory Bonfatti, Pietro Picone, Luciano Montanaro.

Palais Opéra de Liège, les 17, 22, 25 novembre et 1er décembre à 20h, le 29 novembre à 15h.

+32 (0)4 221 47 22 - www.operaliege.be

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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