Exit Above d’Anne Teresa de Keersmaeker

La dernière pièce de la chorégraphe belge tranche par ses problématiques et ses musiques ancrées dans le présent.

Exit Above d'Anne Teresa de Keersmaeker

Surprise, Exit above, d’après la Tempête, le nouvel opus d’Anne Teresa de Keersmaeker, ne s’ouvre pas sur une musique de Bach, de Beethoven ni de Steve Reich. Si les figures géométriques multicolores tracées au sol par lesquelles la chorégraphe dessine sa danse depuis toujours sont bien au rendez-vous, le spectacle, avec sa musique jouée en live, tranche dans le corpus de l’artiste belge, habituée du Théâtre de la Ville où elle passe régulièrement depuis les années 80 avec sa troupe Rosas, fondée en 1983. Aussi bien par sa musique, par ses thématiques, par ses interprètes, la chorégraphie prend manifestement un coup de jeune.

Cela n’empêche pas le spectacle de remonter aux sources de la danse : la marche. L’activité solitaire ou collective est en effet celle qui distingue l’Homo sapiens dans son évolution culturelle. « La marche est la ligne de base du mouvement », rappelle Anne Teresa De Keersmaeker dans le programme. La marche humaine, seul, en groupe, sur place ou en formation militaire. Et aussi la marche des autres êtres vivants : les moutons, les chevaux, les poissons...

Après un temps de pause inaugural un peu long, le groupe de douze danseurs réunis sur scène se lance dans des marches frontales. Et multiplie les allers et retours porteurs de variantes et des arrêts sur image, des face-à-face avec le public tour à tour agressifs, accusateurs, tendres, complices ... Puis le tourbillon monte en puissance épousant la forme d’une spirale avant d’exploser et de repartir sous d’autres formes.

Le titre est inspiré d’une didascalie de La Tempête, de Shakespeare, qui signifie « Sortie par le haut ». Avec une logique toute personnelle, Anne Teresa De Keersmaeker précise que la trame principale de son spectacle est un travail sur le blues en tant qu’origine de la musique pop. Et plus spécialement sur la figure du légendaire Robert Jonson, guitariste et chanteur américain des années 20. Avec un titre en exergue : Walking Blues sur la grande inondation des plaines du Mississippi en 1927. Le titre sera repris à de multiples reprises et sous différentes formes, en anglais non surtitré, par la chanteuse d’origine éthiopienne Meskerem Mees dont la voix envoûtante prend des allures incantatoires. La chanteuse-compositrice s’intègre à la troupe de danseurs sur scène, accompagnée du guitariste Carlos Garbin, lui-même ancien membre de Rosas, qui l’accompagne.

Vitalité à revendre

Leur mélopée contraste avec la musique très hard beat composée par Jean-Marie Aerts qui surgit dans le spectacle et sur laquelle la troupe se déchaîne comme si elle n’attendait que ça. Tous très jeunes, les interprètes disposent d’une vitalité à revendre pour affronter les nuages qui, sous une forme ou une autres, envahissent le plateau. Comme le danseur Solal Mariotte qui ouvre le bal avec un solo hyper énergique empruntant beaucoup au hip-hop par lequel il s’est d’abord distingué. Avec sa chevelure ébouriffée et la grâce d’un Nijinski, le danseur pourrait bien incarner le Magicien Prospero qui, dans La Tempête, a le pouvoir de calmer les éléments déchaînés.

Si les intentions de la chorégraphe ne sont pas toujours évidentes, quelques thèmes saisis dans le vif de l’actualité s’affirment au fil du spectacle de plus d’une heure et des atmosphères visuelles et sonores qui le ponctuent : le genre, le dérèglement climatique, l’extinction des espèces... Moins précise et millimétrée qu’à l’accoutumée, la pièce semble traversée par l’urgence, sauvée par la pulsion de vie qui emporte tout.

Exit Above, Théâtre de la Ville, jusqu’au 31 octobre, https://www.theatredelaville-paris.com/fr
Chorégraphie : Anne Teresa De Keersmaeker. Musique : Meskerem Mees, Jean-Marie Aerts, Carlos Garbin. Texte et paroles : Meskerem Mees, Wannes Gyselinck. Dramaturgie : Wannes Gyselinck. Scénographie : Michel François. Lumière : Max Adams. Costumes : Aouatif Boulaich.
Avec Abigail Aleksander, Jean-Pierre Buré, Lav Crnčević, José Paulo dos Santos, Rafa Galdino, Nina Godderis, Solal Mariotte, Mariana Miranda, Ariadna Navarrete Valverde, Cintia Sebők, Jacob Storer & Carlos Garbin, Meskerem Mees (musique).
Photo Anne Van Aerschot

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de sa...

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