Théâtre du Lucernaire, Paris

Des souris et des hommes

Des souris et des hommes

Il y a des soirs comme ça où on se fait tirer l’oreille pour sortir : pas envie de sortir, pas envie de voir cette pièce. Pourquoi ? On peut prétexter mille et une bonnes raisons, et puis de guerre lasse, on cède. Le noir se fait dans la salle et voilà, on est prit par les comédiens, on fait son mea culpa. Cette petite histoire commune qui nous est arrivée à tous, est peut-être l’un des fondements de la crise du théâtre, le manque de désir. Pourtant Lenny et Georges sont de vieilles connaissances depuis que John Steinbeck publie ce roman dont le titre original est « OF MICE AND MEN » en 1937. Il en fera une adaptation théâtrale qui ne le satisfera pas. Puis, le roman sera adapté au cinéma et à la scène avec des fortunes diverses. Lorsque Robert Hossein le présentera avec Claude Brosset, récemment décédé, dans le rôle de Lenny, le spectacle connaitra un beau succès.

Une Amérique qui ne rêve plus

Lenny et Georges forment un couple improbable, Lenny le grand costaud un peu benêt et Georges le petit malin. Ils font la route ensemble. Ils se louent comme saisonniers, travaillent dur pour quelques dollars et un avenir sans lendemain. Leur vie de cow boys est bien loin de l’image idyllique que proposent Hollywood et John Wayne ou Roy Rodgers. L’Amérique des années trente n’est plus la terre promise, l’Eldorado de la vielle Europe, la crise économique ballote les pauvres gens sur les routes à la recherche d’un hypothétique emploi. Le krach de Wall Street a plongé le pays dans une crise terrible. Steinbeck écrira son chef d’œuvre « Les raisins de la colère » en 1939. Un livre choc qui enlèvera les œillères en parlant d’une Amérique profonde, celle des petites gens qui crèvent de faim et fuient vers un ailleurs meilleur. Le livre sera interdit, mais le film réalisé par John Ford avec Henry Fonda entérinera un succès qui dépassera les limites de l’édition.

Une tragédie annoncée

Georges porte Lenny comme un fardeau. Sans lui, il en est sûr, sa vie serait bien meilleure. Mais Georges a promis de s’occuper de ce gros bébé. Un gros bébé doté d’une force herculéenne et d’un cerveau à un neurone. Georges est un petit nerveux, un peu sec, futé, malin, un smart guy. Le problème avec Lenny, c’est qu’il n’imprime pas ce qu’on lui dit et qu’il ne connaît pas sa force. Sous son aspect de mal dégrossi, Lenny a ses délicatesses, il aime la douceur. Tout ce qui est soyeux et doux l’attire plus sûrement qu’un aimant. Fourrure, cheveux, robe il peut caresser des heures entières et n’aime pas du tout que l’objet qu’il a entre les mains puisse lui échapper. Alors ce sont des cris, des problèmes et une fuite éperdue. Nous rencontrons les deux fuyards au moment où ils vont essayer une nouvelle place. Une dernière place.

Il n’est pas étonnant que très tôt, les romans de Steinbeck fussent adaptés au cinéma. Son écriture, son style prend sa source dans une réalité, un quotidien dur et âpre. La langue en apparence très simple, très apurée est très travaillée. Elle atteint une poésie qui balance entre un langage parlé et descriptif où chaque mot est à sa place, où chaque phrase apporte son sens à cette tragédie du désespoir. Il s’agit bien d’une tragédie, puisque dès la première scène on devine que Lenny porte en lui-même son malheur.

Une adaptatation originale

Le roman n’est pas un huis clos à deux personnages, mais bien le récit de cette errance tragique dans un pays qui a la greule de bois et qui n’a toujours pas compris ce qui lui est arrivé. Dans la ferme, Steinbeck dépeint toute la petite société qui la peuple, avec ses règles bien établies, ses présences, ses bons, ses méchants. Ismail Safwan et Patrick Chevalier ont pris le parti risqué de faire une adaptation pour deux comédiens. Leur travail privilégie la relation entre Lenny et Georges qui veulent encore rêver à une vie meilleure. Ils veulent encore croire que le fameux rêve américain est à leur portée. Les scènes, les événements qui se déroulent avec les autres personnages nous sont relatés comme dans une tragédie grecque dans laquelle un choreute nous narre les actions que nous ne verrons pas. L’adaptation est une véritable réussite. On voit bien la lascive épouse de Curley, le fils du patron, un boxeur du dimanche en quête de gloire facile, le vieux Candy et son vieux chien. Tout est là, l’ambiance, l’atmosphère étouffante du dortoir, le bruit de l’eau et la douleur de Georges.

Ismaïl Safwan et Patrick Chevalier ont conçu une mise en scène astucieuse et efficace. Ils nous plongent en pleine Californie, sans le folklore d’un film mal doublé. La bande son excellente plante l’ambiance du décor qui se réduit à des éléments modulables à vue, le tout soutenu par une musique originale qui entête longtemps après la représentation. Patrick Chevalier s’est réservé le rôle de George ; il fait passer dans sa composition retenue, toute la dualité de cet homme prisonnier de sa promesse et assoiffé de liberté illusoire. Patrice Bornand est ce bon Lenny, car Lenny n’est pas méchant, il est trop fort. Patrice Bornand déjoue les pièges qui auraient été de jouer un débile caricatural, ou un fou furieux. Rien de forcé dans sa composition où l’on sent toute la tendresse du personnage, qui ne comprend pas l’injustice du monde. Lui qui ne veut que caresser la douceur et ressentir un peu de chaleur. Il est très émouvant de voir ce géant, non pas aux pieds d’argile mais à la cervelle en absence. Le spectacle se joue tout l’été, à votre tour d’être ému par cette tragédie de l’amitié, de la fidélité et du dénuement.

Des souris et des hommes d’après le roman de John Steinbeck
Adaptation et mise en scène de Ismaïl Safwan et Patrick Chevalier
Avec Patrick Chevalier et Patrice Bornand

Théâtre du Lucernaire 01 45 44 57 34
53 rue Notre Dame des champs 75006 Paris

A propos de l'auteur
Marie-Laure Atinault
Marie-Laure Atinault

Le début de sa vie fut compliqué ! Son vrai nom est Cosette, et son enfance ne fut pas facile ! Les Thénardier ne lui firent grâce de rien, théâtre, cinéma, musée, château. Un dur apprentissage. Une fois libérée à la majorité, elle se consacra aux...

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