Liège - Opéra Royal de Wallonie

Arabella de Richard Strauss

Une viennoiserie au goût de soufre

Arabella de Richard Strauss

Vienne en décadence entre nobles ruinés et course au fric : l’ultime collaboration entre le compositeur Richard Strauss et le poète Hugo Von Hoffmansthal, son librettiste fétiche, a le goût d’une brioche et un parfum de soufre. Un mariage forcé qui s’avère coup de foudre involontaire et qui tourne en happy end pur sucre, un aristocrate flambeur qui dilapide sa fortune et qui se sert de ses filles qui renflouer les caisses. En promettant l’aînée au plus offrant et en déguisant la cadette en garçon pour ne pas avoir à la doter. Cette trame au relent de moisi serte de toile de fond à un chassé-croisé de cœurs qui s’embrouillent sur le thème « je t’aime, moi non plus ». La petite sœur sacrifiée, qui aime en secret le plus épris des prétendants de son aînée, lui tend un piège, couche avec lui pour lui faire croire qu’il a couché avec sa bien-aimée. Un père sans honneur qui veut brader sa fille à un ancien, très riche, copain de régiment mais qui ignore que c’est le fringant neveu du vieillard qui vient cueillir le fruit du marché.

Les valses font tourner les têtes et les jambes, il y a des grisettes pour consoler les âmes en peine, des cartomanciennes pour lire l’avenir et des cartes à jouer pour servir de miroir aux alouettes. Von Hoffmansthal, mort en 1929, ne verra jamais sur scène ce dernier livret écrit pour servir la musique de Strauss, il n’en connaîtra pas le destin, ni le destin d’une Allemagne, puis d’une Autriche livrées, quelques années plus tard, au nazisme.

Une noirceur en totale contradiction avec la musique

Pierre Médecin qui signe la mise en scène de cette coproduction liégeoise avec le Capitole de Toulouse, a eu la mauvaise idée de transposer la Vienne de François-Joseph (dont un portrait monumental surplombe la scène) dans celle annexée par le Troisième Reich où l’aigle à deux têtes de la monarchie en perd une et gagne une croix gammée. Les allusions sont lourdes et le décor de Pet Halmen - un gigantesque escalier qui couvre toute la scène - d’une noirceur et une laideur en totale contradiction avec la musique lumineuse de Strauss. Une musique en énergie solaire avec des plages de mélancolie qui renvoient au Chevalier à la Rose et à d’autres, plus gaillardes, qui évoquent les folies d’une Ariane à Naxos.
Ainsi ce « Bal des Cochers » aux flonflons paysans...

Les chanteurs-acteurs remportent le morceau

Le jeune liégeois Patrick Davin, actuellement en résidence à l’Opéra de Marseille, plonge l’Orchestre Royal de Wallonie dans une cure de santé, le pousse parfois dans des extrémités qui couvrent les voix mais lui communique une joie qui lui vaut au salut, une ovation debout. Ce sont les chanteurs-acteurs qui pourtant remportent le morceau de roi. La distribution est belle avec une Mireille Delunsch en Arabella de bonne famille qu’elle aborde pour la première fois avec élégance et un lyrisme délié, avec la merveilleuse Anne-Catherine Gillet au timbre fruité, applaudie à Toulouse, à Marseille, aussi bonne comédienne que chanteuse, tout à fait craquante dans son rôle de garçon manqué enamouré, avec Gilles Ragon, toujours en forme et d’une belle sincérité. Comme dans Le Roi Candaule de Zemlinsky vu à Liège et à Nancy (voir webthea du 9 février 2006) on reste sous le charme de la virtuosité, l’aplomb, l’impeccable projection du baryton basse flamand Werner Van Mechelen qui impose un Mandryka tout de séduction et d’émotion.
Bref le plaisir est dans l’oreille. L’œil n’écoute pas.

Arabella comédie lyrique de Richard Strauss, livret de Hugo Von Hoffmansthal, Orchestre et Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie, direction Patrick Davin, mise en scène Pierre Médecin, décors, costumes et lumières Pet Halmen. Avec Mireille Delunsch, Anne-Catherine Gillet, Hanna Schaer, Mélanie Boisvert, Christine Solhosse, Werner Van Mechelen, Gilles Ragon, Tómas Tómasson, Steffen Schantz, Patrick Delcour, Léonard Graus.
 Liège - Opéra Royal de Wallonie, les 22,24,26,28 & 30 septembre 2006.

Photos : Jacky Croisier

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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