Nancy - Opéra National de Lorraine - jusqu’au 15 mars 2008

Andrea Chénier de Umberto Giordano

Leçon d’Histoire au musée Grévin

Andrea Chénier de Umberto Giordano

De gros nuages avaient obscurci le ciel de Nancy durant la préparation de Andrea Chénier, l’opéra vériste d’Umberto Giordano, si rarement joué en France mais que la Belgique et l’Espagne ont récemment remis à l’honneur (voir webthea des 21 et 12 octobre 2007) . Début janvier, Sergei Larin, le magnifique ténor héroïque letton qui devait interpréter le rôle titre, s’en allait d’une crise cardiaque à l’âge de 51 ans. Effet boule de neige ? Dans la foulée des mauvaises nouvelles deux autres interprètes de premiers rôles durent déclarer forfait. Remettre tout à zéro à deux mois d’une création, trouver les remplaçants, pouvait tenir du pari impossible… Ce fut toutefois chose faite grâce à l’obstination de Laurent Spielmann, directeur têtu de l’Opéra National de Lorraine et de Valérie Chevalier, sa directrice artistique.

La vaillance vocale et physique de Carlo Scibelli

Au jour prévu le rideau se leva donc sur le destin du pauvre poète guillotiné à 31 ans par Robespierre pour avoir osé dénoncer les barbaries de sa Terreur… Le ténor héroïque fut trouvé dans la vaillance vocale et physique de Carlo Scibelli qui relève le défi malgré une certaine lourdeur, des aigus trop ronds, trop proches de ceux de baryton. Sa performance n’en reste pas moins méritoire. Il joue à fond le jeu du poète martyr révolutionnaire amoureux fou d’une fille d’aristocrate, cette Madeleine de Coigny qui préférera l’accompagner sur l’échafaud plutôt que de lui survivre.

Martina Serafin, Madeleine idéale

Celle-ci fut également remplacée in extremis et eut la chance de trouver en Martina Serafin, rayonnante soprano viennoise, une Madeleine idéale qui avait déjà enchanté la scène nancéenne dans Rosenkavalier de Richard Strauss avec une Maréchale de charme absolu (voir webthea du 14 avril 2005). Beauté altière, jeu subtil, projection limpide, legato de velours, elle est tellement idéalement l’amoureuse qui fait courir des frissons avec son grand air « la mamma morta » qu’elle le chantera en juin à la Scala de Milan.

Dernière substitution enfin, le baryton italien Piero Guarnera qui endosse avec bonheur le rôle du laquais Charles Gérard devenu meneur révolutionnaire, ami de Chénier, mais hélas épris comme lui de la belle Madeleine, donc son rival. Présence fraternelle, timbre généreux parfois fragilisé par les débordements sonores à l’image de ce vérisme qu’Umberto Giordano voulut inscrire dans les pas de Puccini mais sans jamais réussir à l’égaler.

Au plus près de la vérité historique

Vérisme : au plus près de la vérité historique. L’auteur de « La Jeune captive » a bel et bien existé et fut décapité, Roucher, Dumouriez, Fouquier-Tinville, Marat, Robespierre, les « merveilleuses » et les « incroyables », les tribunaux révolutionnaires font partie de nos livres d’histoire, et même si la romance amoureuse du poète martyr est sublimée pour les besoins du drame, une idylle réelle lia Chénier à une jeune aristocrate, inspiratrice de son plus célèbre poème. Luigi Illica, librettiste de Giordano, mais aussi de Puccini, connaissait la chanson, si on peut dire, lui qui avait déjà mis en actes et en paroles Tosca, La Bohème et Madame Butterfly. Ce qui n’empêcha pas Giordano d’étoffer sa musique de quelques aller/retour avec les traditions classiques, voire baroques puis de la saupoudrer des « ça ira », « carmagnole » et effluves de « marseillaise » ramassés sur les pavés.

Jean-Louis Martinoty conservateur de la mémoire des arts plastiques

Jean-Louis Martinoty signe une mise en scène professorale et doublement vériste qui pourrait servir d’illustration à un cours d’histoire. En bon conservateur de la mémoire des arts plastiques, il meuble les espaces avec ses habituelles références au monde de la peinture (ici les inévitables Watteau, David ou Goya), dans une suite de tableaux que délimitent des panneaux mobiles et qu’habitent, outre les foules constituées par les choristes, des mannequins de cire en costumes grand siècle scrupuleusement reconstitués. Tout est conforme. Il ne manque pas le moindre grain de poudre aux perruques ni le plus petit grain de poussière sur le buste de Marat, les bonnets phrygiens arborent leurs rubans écarlates, les redingotes sont boutonnées à cœur… Quelques jolies idées aèrent sa leçon de choses, comme, au premier acte, le ballet entr’aperçu en ombres derrière un tableau ou la gavotte que dansent les invités, les mains accrochés à des fils tombés des cintres, qui les transforment en pantins articulés. Leçon d’histoire au musée Grévin ? Sans tomber dans les actualisations radicales qui semblent étrangères à la démarche de Martinoty, des signes avant coureurs ou de simple pérennité politique n’auraient pas été superflus.

A la tête de l’Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy, Paolo Olmi, son directeur musical, insuffle le vent d’un puissant lyrisme aux instrumentistes. La musique de Giordano s’envole comme dopée de vitamines.

Andrea Chénier de Umberto Giordano, livret de Luigi Illica, orchestre symphonique et lyrique de Nancy, direction Paolo Olmi, mise en scène Jean-Louis Martinoty, décors Bernard Arnould, costumes Daniel Ogier, lumières Jean-Philippe Roy. Avec Carlo Scibelli, Martina Serafin, Piero Guarnera, Michèle Lagrange, Diana Axentii, Eric Huchet, Wenwei Zhang, Christophe Gay, David Bizic, Antoine Garcin, Eric Freulon ;
Nancy – Opéra National de Lorraine – les 7, 9, 11, 13 & 15 mars à 20h – 03 83 85 33 11

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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