Amours (2) de Joël Pommerat.

Le sentiment dans tous ses états - filial, maternel, conjugal, amical, amoureux.

Amours (2) de Joël Pommerat.

L’auteur et metteur en scène Joël Pommerat intervient à la Maison Centrale d’Arles depuis 2014. Un premier spectacle en 2015 Désordre d’un futur passé de Jean Ruimi a été l’occasion de représentations ouvertes au public et à la presse, suivi en collaboration avec Caroline Guiela Nguyen par un autre spectacle, Marius, une réécriture de la pièce de Marcel Pagnol, avec le même groupe de détenus, un spectacle présenté à la Maison Centrale d’Arles en 2018, et dans les anciens ateliers des Baumettes historiques en 2019, dans le cadre de l’« Adieu aux Baumettes ». Et le travail régulier avec ces détenus à la MCA a conduit à la créations d’Amours (1) en 2019.

Pour ce spectacle, Joël Pommerat, tenu par les contraintes de logistique d’une démarche théâtrale en prison, décide de se passer de décor, lumière, son, costumes, accessoires, pour n’utiliser que quelques chaises de la salle nue de l’atelier de théâtre. La jauge est réduite à l’extrême pour une salle disposée en fer à cheval ; les comédiens jouent dos au mur du lointain ou sont assis, ou s’installent avec les spectateurs sur une des rangées de sièges et font face à leur interlocuteur.

Les scènes sont issues de pièces de Pommerat, La Réunification des deux Corées, Cet enfant, Cercles/Fictions, composant Amours (1), spectacle qui parle d’amour, ouvertement ou pas. En 2020 et 2021, deux détenus sont libérés : l’occasion de reprendre le spectacle à l’extérieur, avec les trois comédiennes professionnelles initiales - Roxane Isnard, Elise Douyère et Agnès Berthon. Un troisième acteur, formé dans une autre prison et libéré, rejoint le groupe d’Amours (2).

Installés, les spectateurs attendent que le silence se fasse pour que le spectacle advienne ; or, deux hommes parlent sans trop élever la voix, ils se disputent et s’opposent manifestement. Vont-ils se taire ? Le public réalise assez vite qu’Amours (2) a déjà commencé. Jean Ruimi joue le père, et Redwane Rajel le fils, les deux locuteurs improvisés s’expriment sèchement, ostensiblement en colère. Le plus jeune n’admet pas la violence paternelle subie dans son enfance, jusqu’à présent. Pourquoi ne pas savoir parler à son fils ? Le père fait amende honorable : il n’a pu faire autrement.

Une scène met en présence un père et sa fille, en face d’une assistante sociale ou psychologue. Le père, malade et dépressif, ne supporte plus de ne pouvoir re-travailler : sa fille le tance durement, l’humilie, lui rappelant sans cesse son incapacité et son inutilité à quoi que ce soit. La médiatrice admoneste de son côté « l’agresseuse », et rejette l’argumentaire de cette malmenée.

Deux amies se parlent, face à face ; l’une dit à l’autre qu’elle ne pensait pas, au début de leur relation, qu’elles parviendraient à une telle complicité, tant celle-ci lui semblait méprisante et arrogante. La déclaration heurte douloureusement l’amie concernée, la médisante ne retire pas ses propos, et les adresses s’enveniment et s’exacerbent jusqu’à la rupture définitive.

Une jeune mère interpelle un couple de ses voisins qu’elle sait sans enfant, et qu’elle considère comme sympathiques et aimants : elle les enjoint à recueillir son nourrisson tenu dans ses bras. Le couple est interloqué, précisant à la « donneuse » que ces choses-là ne se font pas comme ça.

Deux voisins - une femme et un homme - attendent patiemment un soir leur conjoint respectif qui tarde à rentrer : la première avoue qu’elle a pleine confiance en son compagnon aimé, tandis que le second, fidèle aussi à sa compagne, dit être sensible au charme de cette voisine proche avec laquelle il s’entretient. Plus tard, on retrouvera les deux interlocuteurs dans la même attente alors qu’ils entendent du bruit dans l’escalier : sont-ce les retardataires qui surgissent enfin ? Il semble qu’ils s’attardent ensemble à l’extérieur, sans discrétion ni souci de pudeur ou des convenances…

Franc, sans prétention, « naturel », le théâtre de Joël Pommerat capte l’attention, livrant en vrac au public ces paroles confiées, souvent non-dites ou tues, inavouées encore par bienséance. Belle ressaisie de la part d’humanité et de sincérité que chacun recèle en soi - la vraie reconnaissance.

Amours (2), création théâtrale de Joël Pommerat, à partir des textes La Réunification des deux Corées, Cet enfant, Cercles/Fictions, éditions Actes Sud-Papiers. Avec Marie Piemontese, Elise Douyère, Roxane Isnard, Redwane Rajel, Jean Ruimi. Collaboration artistique Roxane Isnard, Lucia Trotta, Elise Douyère et Jean Ruimi, direction technique Emmanuel Abate, assistantes à la mise en scène Lucia Trotta, Saadia Bentaieb. Spectacle vu au Pavillon Villette, Porte de La Villette. Les 3 et 4 mai, Châlons-en-Champagne, La Comète, Scène nationale la-comete.fr Les 23 et 24 mai, Boulazac, Agora Boulazac, Pôle national Cirque agora-boulazac.fr Les 8 et 9 juin, LENS, Musée du Louvre-Lens louvrelens.fr
Crédit photo : Blandine Armand.

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Véronique Hotte

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